Un canotier lévisien, vedette du carnaval de Montréal
Autrefois, en hiver, le pont de glace sur le fleuve Saint-Laurent entre Québec et Lévis n’était pas fréquent. Entre 1800 et 1850, par exemple, il ne se forme qu’à onze reprises. Le reste du temps, ce sont des canotiers qui mènent leurs lourdes embarcations faites d’un seul tronc d’arbre creusé ou de deux troncs joints ensemble et bien assujettis pour qu’ils ne prennent pas l’eau. Joseph Bouchette écrit qu’ils portent parfois jusqu’à huit passagers, sans compter les trois ou quatre hommes qui les conduisent. «Il n’est pas rare de voir plusieurs de ces grands canots chargés de provisions pour le marché.»
En 1885, lors du grand défilé du carnaval de Montréal, la foule salue l’un de ces canotiers. À ce sujet, le quotidien Le Canadien de Québec, édition du 31 janvier 1885, est fier de se faire le relais du journal montréalais La Patrie.
Un des traits caractéristiques de la procession de cet après-midi a été la présence de M. Édouard Baron, de Lévis, avec son fameux canot traversier.
Cette embarcation a fait le trajet pendant 43 ans entre Québec et Lévis au milieu des mille banquises que charrie le fleuve à cet endroit. Le club de raquettes Le Canadien, sous les auspices duquel M. Baron est à Montréal, a eu là une des plus heureuses idées qui distinguera le carnaval de cette année.
Cette vieille relique représente une époque intéressante où a brillé la vaillance des enfants du pays, et en voyant dans nos rues passer ce canot tout pavoisé, avec ses canotiers en costume traditionnel dans les rangs de nos raquetteurs, nous songions involontairement aux expéditions légendaires d’Iberville, dans les solitudes glacées de la baie d’Hudson.
M. Baron est un vieux patriote. C’est le canotier type de Lévis. Vaillant, généreux, infatigable, fier comme un Écossais et fin comme un Normand.
Il a fait le métier pendant 56 ans, passant les troupes, transportant les malles, toujours sur le fleuve, à l’arrière de son canot, la pagaie à la main et la chanson aux lèvres.
Il, est natif de Lévis et le père d’une famille de braves. Son grand-père, Pierre Baron, fut le premier Canadien qui navigua avec les Hurons. Il fit le service pendant 33 ans, il y a de cela plus d’un siècle. Son père J. B. Baron fut, lui aussi, un infatigable canotier durant quarante ans.
Notre bienvenue la plus cordiale à ce vétéran des anciennes luttes des enfants du sol avec notre sévère climat, Si les hardis navigateurs des régions arctiques avaient eu des hommes de sa trempe et de son expérience, le pôle nord ne serait plus un mystère pour la science.
Si l’on avait seulement songé à utiliser ses services et ceux de ses canotiers l’axe du monde porterait peut-être le nom d’un Canadien français.
L’illustration d’un «Canot traversant le Saint-Laurent, à Québec, en hiver», est parue dans L’Opinion publique (Montréal) du 12 février 1870.