Retour sur la chanson «Un Canadien errant»
À mes yeux, voilà la plus belle chanson composée par une personnalité québécoise au fil des siècles. Écrite en 1842 pour rendre hommage aux Patriotes de 1837-1838 condamnés à l’exil, elle est bien sûr d’Antoine Gérin-Lajoie, alors étudiant de 18 ans au séminaire de Nicolet, en bordure du Saint-Laurent.
Dans l’ouvrage A. Gérin-Lajoie d’après ses mémoires (Montréal, Librairie Beauchemin, 1912), l’abbé Henri-Raymond Casgrain l’évoque à deux reprises. Le premier extrait est lyrique.
Le passage de M. Lajoie au collège de Nicolet a fait époque dans le passé de cette institution.
Un jour, dans le grand silence de l’étude, il entendit gronder le canon de Saint-Denis et de Saint-Eustache, les cris lointains de la révolution de 1837 parvenaient jusqu’à son oreille. Les victimes de l’échafaud pendaient à la corde fatale; et il vit passer sur le fleuve les déportés canadiens qu’on traînait enchaînés sur la terre d’exil.
Alors il détacha sa lyre suspendue aux grands pins de Nicolet, et il chanta, en pleurant, cette naïve ballade, si émue, si touchante dans sa simplicité, qu’elle est devenue la plus populaire de nos chansons canadiennes, puisque la Claire fontaine est d’origine française :
«Un Canadien errant, etc.
Partout où il y a des Canadiens errants (hélas ! on en compte un demi-million !), la ballade du poète nicolétain retentit et rappelle aux exilés la patrie perdue. On l’a entendue fredonnée dans les rues de Paris, et elle a réveillé les échos des montagnes Rocheuses. Est-il un coin de l’Amérique du Nord où elle n’a pas été chantée ?
Le second passage vient des Mémoires de Gérin-Lajoie qu’il commence à rédiger en 1849 et poursuit jusqu’à son décès en 1882. Henri-Raymond Casgrain le cite alors.
«Je partis de la maison de mon père le 13 août 1844 pour me rendre aux États-Unis. […] Mon père vint me conduire en voiture jusqu’à la petite ville des Trois-Rivières, à six lieues de notre demeure, où je devais prendre le vapeur qui me conduirait à Montréal.
«Cette petite ville, qui compte à peine quelques mille âmes, me parut immense. Je n’avais vu jusqu’alors que le village de ma paroisse [Yamachiche] et celui de la paroisse de Nicolet où se trouve le collège.
Le soir, je me promenai dans toutes les rues jusqu’à ce que la fatigue ne me permît plus de marcher.
En passant dans une petite rue silencieuse, je fus surpris d’entendre chanter une des chansons que j’avais faites au collège. Je me détournai, et j’aperçus une jeune mère qui endormait son petit enfant sur ses genoux en chantonnant :
«Un Canadien errant, etc.
«J’en éprouvai une sensation agréable; c’était contre mon ordinaire, car généralement, chaque fois que j’entendais lire de mes vers ou chanter de mes chansons, je ressentais un malaise, un embarras, inexprimable.
«Il faut dire qu’il y ait dans les mots, ou plutôt dans l’air de cette chanson quelque chose qui touche le cœur; car je l’ai entendu chanter en divers endroits du Canada et aux États-Unis.»
* * *
Mon ami Gilles Ouellet, musicien, sachant mon amour pour cette chanson de Gérin-Lajoie, m’envoie ce courriel me mettant sur la piste de cette interprétation de la mezzo-soprano franco-ontarienne Éva Gauthier. Il m’écrit :
Salut Jean. Je découvre cet enregistrement enregistré le 21 février 1917 qui devrait t’intéresser (à moins que tu le connaisses déjà ?). Cette chanteuse originaire d’Ottawa a eu une carrière internationale remarquable, côtoyant les plus grands et les plus grandes (Debussy, Stravinsky, Satie, la chanteuse Albani, etc.). Bonne audition. Voilà le lien :
http://www.collectionscanada.gc.ca/obj/m2/f7/10331.mp3
La photographie ci-haut d’Éva Gauthier qui remonte à 1905 apparaît sur la page Wikipédia qui lui est consacrée.
!!!! Merveille de pouvoir écouter aujourd’hui cette chanson interprétée par une voix si belle et gracieuse, presque 100 ans plus tard ! Très agréable découverte !
Étant d’une nature plutôt curieuse, j’ai farfouillé un peu à la suite du lien Wikipédia que vous avez partagé… pour aboutir ailleurs, où j’ai trouvé une longue liste d’enregistrements de chansons interprétées par dame Eva Gauthier… Si cela vous intéresse, ou d’autres lecteurs, c’est ici:
http://adp.library.ucsb.edu/index.php/talent/detail/28172/Gauthier_Eva_vocalist_mezzo-soprano
Merci, chère Farfouilleuse, merci beaucoup.
Une chanson triste et belle qui me frappe au coeur M.Provencher!
Vous avez bien raison, cher Monsieur Gaudreault. J’aime tant cette si belle chanson.
Je crois qu’elle a disparu au tournant des année 60,quand nous avons décider de se nommer Québécois.Le canadien ne cadrait plus dans le décor.
Il est vrai, Monsieur Gaudreault, que Nana Mouskouri l’a reprise. Leonard Cohen également. Et même une Néerlandaise qui l’a adaptée de manière pas très réussie. Et surtout la présentation que cette dame en fait, en concert en Suisse en 2011 (https://www.youtube.com/watch?v=WrtE8P0vM1Q), est incroyable. Imaginez, ce serait une composition d’un jeune étudiant québécois (Guérin-Lajoie) quelque part en 1968 qui admirait beaucoup Cohen et lui en avait fait cadeau. Complètement dans le champ, la madame. C’est triste.
Incroyable la totale ignorance de cet dame,j’ai pas écouter jusqu’au bout,insupportable.Bonne année tout de même.
En effet.
Bien belle année à Vous, cher Monsieur Gaudreault.