La relance du patrimoine de l’Abbaye d’Oka
Je fus un de ceux qui, en janvier, ont appuyé la protection du patrimoine de l’Abbaye d’Oka.
Aussi, je reçois, comme les autres personnes qui ont signé la pétition d’alors, cette lettre du père abbé du monastère Val Notre-Dame, André Barbeau.
À vous tous et toutes
membres du groupe des Cent Amis de l’Abbaye d’Oka,
Le 6 décembre dernier, Le Devoir publiait un article donnant un point de vue sur l’histoire récente des événements entourant le patrimoine de l’Abbaye d’Oka.
Après tout l’excellent travail accompli au cours des 18 derniers mois, il me semblait impossible de ne pas répondre à cet article pour rectifier les faits et les mettre en perspective.
Nous avons été nombreux à travailler pour intégrer remboursement des dettes et relance de l’abbaye.
Le Devoir de ce lundi 15 décembre publie un article en lien avec ma lettre ouverte et publique adressée au Premier Ministre.
Je sais que tous n’auront pas accès soit à l’article soit à ma lettre, disponible sur le site du Devoir ou sur l’application gratuite du Devoir pour la tablette,
aussi ai-je pensé vous faire parvenir une copie de l’un et l’autre. Pour ce qui est de ma lettre, vous pouvez la transmettre à qui vous le jugerez bon.
Elle est destinée à tout public ou du moins à toute personne intéressée par ce beau patrimoine de l’Abbaye d’Oka.
Un commentaire reçu ce matin disait ceci : “à vouloir sauver des bouts de chandelles, on finit par éteindre la lumière”.
L’intérêt que vous portez à l’héritage national de l’Abbaye d’Oka est le plus sûr garant de la lumière !
Encore merci…
f. André Barbeau
Père Abbé du Val Notre-Dame
Le Père Barbeau y joint l’article du Devoir en PDF, ainsi que le texte de sa lettre adressée au premier ministre Couillard.
* * *
Lundi, le 8 décembre 2014
Cher Premier Ministre, M. Philippe Couillard
Vous aurez sans doute pris connaissance de l’article du journaliste Éric Mondou publié dans le Devoir de samedi, le 6 décembre 2014, et intitulé: Volte-face. Québec renonce à acquérir les terres de l’abbaye d’Oka.
En 2007, lorsque la communauté des moines cisterciens-trappistes de l’Abbaye d’Oka a fait l’option de vendre l’ensemble de sa propriété à la Corporation de l’Abbaye d’Oka, les objectifs étaient très clairs: choisir un organisme susceptible de favoriser et de promouvoir la recherche, la production et la transformation agro-alimentaire ainsi que la formation et l’aide apportée à une relève agricole. Nous avons vraiment choisi de vendre à la Corporation de l’Abbaye d’Oka pour ces motifs qui devaient assurer une pérennité à un patrimoine agricole significatif dans l’histoire du Québec depuis 1881, grâce à l’Institut agricole d’Oka qui a formé des générations d’agronomes (1893-1962), à la Fromagerie d’Oka (1893-1974) et aux divers et nombreux produits issus de l’Abbaye (verger de 3000 pommiers et arbres fruitiers d’Oka, gelée d’Oka, melons d’Oka, yogourts d’Oka, glaïeuls d’Oka, ferme avicole (faisans, pintades poules Chantecler), herbier Louis-Marie Lalonde, Okaramel, gâteaux aux fruits, chocolats, beurres de noix, Éditions de l’Abbaye -35 volumes de la collection Pain de Cîteaux; 22 volumes de la collection Voix Monastiques).
Le 20 février 2009, à quelques jours du départ officiel des Pères Trappistes d’Oka vers Saint-Jean-de-Matha, le Premier Ministre, M. Jean Charest nous faisait parvenir un très beau message dans lequel il mettait en relief ce qui suit: «Le moment est choisi pour saluer l’œuvre inestimable d’une communauté dont l’héritage tant religieux, spirituel, éducatif, scientifique, social et économique portera toujours des fruits, ici à Oka et partout où il sera reçu. Cet héritage, il est inscrit dans l’histoire et dans le cœur des habitants d’Oka, et dans notre histoire et notre cœur à tous.» C’est précisément cet héritage et cette histoire que nous continuons à vouloir préserver.
Le 21 juin 2013, je recevais le même jour et dans le même courrier deux enveloppes contenant chacune un projet fort différent. La Corporation de l’Abbaye d’Oka nous demandait de signer une main levée autorisant la vente des seules terres agricoles (près de 275 hectares) à un agriculteur local pour la somme de 2$ millions. Les bâtiments mêmes de l’Abbaye et 6 hectares autour des bâtiments étaient exclus de cette transaction. L’objectif, à court terme, était de liquider ce qui pouvait l’être pour éponger le déficit de la Corporation, rembourser une partie de la dette à l’institution financière Desjardins, rembourser la dette et les taxes municipales impayées et laisser un 500.000$ en fonds de roulement pour la Corporation. La seconde enveloppe contenait le rapport final de l’étude en vue d’une relance de l’Abbaye d’Oka : cinq ministères avaient été approchés et endossaient ce projet de relance qui allait permettre la sauvegarde de tout le patrimoine et la poursuite des objectifs initiaux de la vente de l’Abbaye à la Corporation. La communauté monastique a opté pour le projet de relance même s’il fallait alors renoncer à percevoir les intérêts qui courent depuis le 1er mai 2012 sur le 1,5$ million encore impayé à la communauté et renoncer surtout à un remboursement du 1,5$ million avant un très long terme. Entretemps, la communauté a aussi refusé de céder sa créance à un particulier qui proposait de la reprendre sans aucune condition.
Ce qui devait et pourrait encore éventuellement être vendu à un agriculteur privé, ce ne sont pas simplement 275 hectares de bonnes terres agricoles mais un domaine patrimonial qui appartient à un peuple. Ce qui a été cultivé sur ces terres pendant plus de 128 ans fait désormais partie de l’évolution agronomique et économique de l’ensemble du Québec. Une page de cette histoire a certes été tournée le jour où les moines ont quitté Oka. Mais, en fait, ce que beaucoup ignorent, c’est le caractère exceptionnel de ce territoire qui bénéficie d’un véritable microclimat. Depuis 2007, une employée du centre de recherche agroalimentaire de Mirabel (CRAM) y a implanté -selon ce qu’elle nous partageait à la réunion du 17 janvier dernier, en présence de nombreux témoins- 52 plants de vignes d’appellation contrôlée figurant parmi les grands crus de France. Le potentiel de cette terre est bien connu dans la région. Il y a un passé certes, mais il y a aussi un présent pour ce domaine de l’Abbaye. La recherche du CRAM sur les plants de vigne de l’Abbaye, pour ne retenir que cet exemple, pourrait assurément être reprise sous une forme entrepreneuriale : il suffirait d’un incubateur d’entreprises où de jeunes entrepreneurs, accompagnés de mentors, pourraient développer et commercialiser les produits de la vigne.
La décision politique, fort pertinente, d’acheter les terres de l’Abbaye d’Oka ne pouvait venir que du gouvernement du Québec. Fruit d’un travail d’écoute et de dialogue, cette décision réconciliait les deux objectifs: rembourser des dettes devenues lourdes pour la Corporation et la municipalité d’Oka et, en même temps, préserver l’entièreté du patrimoine. Rien n’interdisait par la suite de louer une partie des terres comme cela se fait déjà depuis des années à des agriculteurs locaux. Mais en gardant les terres, le gouvernement non seulement faisait un bon investissement mais s’assurait de pouvoir ainsi gérer au long terme le développement durable de l’Abbaye.
Le journaliste Éric Mondou, dans le Devoir de samedi dernier, avait bien raison de dire que Madame Denise Beaudoin, l’ancienne députée de Mirabel, a porté le projet de relance à bout de bras. Son travail inlassable auprès de divers ministères a fini par aboutir à la création d’un Comité interministériel autour du projet de relance de l’Abbaye d’Oka. Elle a su mobiliser aussi des intervenants locaux provenant de divers milieux, ce qui a donné un solide Comité consultatif.
La création de l’association des Cent Amis de l’Abbaye d’Oka en début d’année 2014 n’avait qu’un but, celui de révéler la dimension véritable du patrimoine de l’Abbaye qui dépasse le cadre seulement local ou municipal. Grâce à cette centaine d’Amis, tous membres reconnus de notre société québécoise et représentant les milieux les plus divers, l’Abbaye d’Oka jouit maintenant d’un soutien national. Ces Cent Amis connaissent tous l’existence et la teneur du plan de relance et en suivent l’évolution avec beaucoup d’intérêt. Ces Amis ont des visages et des noms de chez nous et ont eu, au cours de leur vie, un lien unique avec l’Abbaye : Hubert Reeves raconte dans ses mémoires les visites annuelles de sa famille à un moine d’Oka et comment ce moine a aussi influencé son parcours de scientifique, Sœur Angèle, amie de notre frère cuisinier depuis des années nous a aidés à mettre au point notre Okaramel, Gilles Vigneault venait pratiquer chez nous avec ses musiciens à l’époque où il résidait à Saint-Placide, Jean-Paul L’Allier a été député des Deux-Montagnes, Mario Pelchat, un voisin propriétaire d’un vignoble à Saint-Joseph-du-Lac et 95 autres Amis… sportifs, religieux, artistes, chefs en grande cuisine, hommes et femmes d’affaires, responsables politiques à divers paliers.
Après son élection en juin dernier, le nouveau maire d’Oka, M. Pascal Quevillon confiait, au journal L’Éveil de Saint-Eustache, qu’il envisageait de « peut-être former un comité régional avec des gens ayant des idées pour rentabiliser les lieux » et assurer l’avenir de l’Abbaye.
Les diverses réunions du Comité consultatif, les interventions dans les journaux et les médias, ont rendu visible un vouloir de plus en plus partagé de soutenir le projet de relance de l’Abbaye d’Oka et de cibler les éléments majeurs pour parvenir à la réalisation de ce projet : élaborer une vision d’avenir pour protéger et relancer ce patrimoine, trouver les fonds nécessaires et revoir la gouvernance du conseil d’administration de la Corporation. L’importante réunion à Mirabel, le 17 janvier 2014, avec des membres du gouvernement (cabinet de la première ministre, comité interministériel), de l’équipe de la députée de Mirabel, du comité consultatif (CRAM, UPA et autres), de la Corporation de l’Abbaye d’Oka (président et directeur général), de la Mairie d’Oka (maire, conseillers municipaux et directrice municipale), du Centre de Formation agricole de Mirabel (CFAM), de la Société d’histoire d’Oka, et nous-mêmes, a été un moment décisif pour harmoniser les différentes approches dans ce dossier et élaborer une orientation commune.
Après tout le travail accompli non seulement par les diverses instances politiques mais aussi par les hauts fonctionnaires et d’innombrables amis qui croient en la relance de l’Abbaye, le décret du gouvernement du Québec est un repère historique : il préserve un vaste domaine agro-touristique de valeur patrimoniale et il protège son ancrage dans des réalisations passées, actuelles et futures au plan proprement économique.
L’Histoire a déjà retenu la contribution et le legs des générations de moines artisans et chercheurs qui ont apporté leur contribution personnelle et communautaire à notre société québécoise de 1881 à 2009 à Oka. Mais il y a encore de la place à l’Abbaye d’Oka pour d’autres beaux chapitres dans l’Histoire du devenir collectif de notre peuple. J’ai tenu à m’adresser personnellement et publiquement à vous, cher Premier Ministre, parce que je sais que, même en me réfugiant derrière le silence des moines, je ne pourrais pas parvenir à faire taire tout ce qui parle plus fort que moi et qui monte des terres et des lieux de l’Abbaye d’Oka.
Cher Premier Ministre, permettez-moi de vous exprimer ma plus grande considération pour une intervention de votre part qui puisse faire de ce dossier un événement porteur d’avenir.
Dom André Barbeau
Père Abbé
Abbaye Val Notre-Dame
La photographie d’André Barbeau paru dans Le Devoir d’hier, 15 décembre, est de Jacques Nadeau.