Les combats de grillons en Chine
Mon oncle Paul Provencher, le coureur des bois, écrivait qu’en Chine, les batailles de grillons (Gryllus Pennsylvanicus, Fall Field Cricket) sont aussi populaires que les batailles de coqs dans les Caraïbes. Rappelez-vous.
Le quotidien de Québec, Le Canadien, du 13 novembre 1880, semble manifestement lui donner raison. Extraits d’un article qu’on intitule «Le jeu national de la Chine».
Si vous allez, au jour fixé, à la porte nord-est de Canton et que vous jetiez un coup d’œil sur le champ voisin, vous y verrez une animation extraordinaire; des groupes de Chinois se pressent dans des baraques élevées sur le terrain; au milieu de la populace, on remarque des hommes d’un rang élevé, des officiers tartares, et même des mandarins.
C’est le turf; c’est Epsom; c’est le derby.
Voici l’enceinte; voici le pesage; voici les «book-markers» et les parieurs; enfin, voici les combattants. On les apporte dans des écuelles de terre recouvertes d’un linge; ce sont de fiers grillons entraînés à la lutte et qui représentent des centaines de dollars engagés sur leur vaillance.
On les promène au pesage et, pendant ce temps, on établit les cotes, on inscrit les paris; tel est le favori, tel est discuté. Enfin, les juges s’assemblent dans les tribunes; deux hommes s’avancent, tenant chacun un petit bol à la main; ce sont les propriétaires des grillons engagés. On les met alors face à face et cornes à cornes dans une écuelle qui représente l’arène. «Laissez aller» crie le président et le combat commence.
Les grillons font d’abord le tour de la lice en sens inverse et, après cette parade, ils fondent l’un sur l’autre avec une impétuosité telle que le premier choc les jette souvent tous deux sur le dos. Alors leurs propriétaires, armés de petites baguettes, les excitent de nouveau, et la lutte s’engage acharnée, furieuse. Il n’est pas rare que les belligérants y laissent patte ou aile.
Si l’un des champions se dérobe et refuse trois fois le combat, il est déclaré vaincu. Les vainqueurs sont portés en triomphe par leurs possesseurs, et quand ils meurent (la vie d’un grillon ne compte guère plus de cent trente jours), on les ensevelit dans de petits cercueils d’argent et on les enterre secrètement sur les collines.
C’est là qu’à la saison prochaine, on ira chercher de nouveaux combattants, car on suppose que l’esprit des grillons victorieux passera dans le corps de leurs successeurs.
Pendant la guerre de 1857, un capitaine de vaisseau, qui s’était embossé à Whampoa pour bloquer la rivière, apercevant sur les collines une troupe de Chinois qu’il prit pour des assaillants, fit mettre à terre une troupe de débarquement qui se dirigea vers les agresseurs supposés.
Ceux-ci étaient armés, comme c’est l’usage des Chinois la nuit, et ils portaient des lanternes. On se tira des coups de feu et il y eut des blessés de part et d’autre. Mais lorsqu’on en vint aux mains, le capitaine, grièvement blessé lui-même, reconnut qu’il avait à faire à des villageois parcourant nuitamment les collines à la recherche de leurs insectes de sport.