Hommage au timbre-poste
Le chroniqueur Alphonse Lusignan nous amène toujours dans des sentiers surprenants. J’aime beaucoup. Le 11 novembre 1886, dans La Patrie, le voilà à nous entretenir de timbre-poste, une nouveauté qui a vu le jour au Canada un peu plus de 30 ans auparavant.
La douce manie de collectionner les timbres amuse les petits enfants et chasse les mauvaises pensées des grands.
En contemplation devant son album où manquent les timbres-poste du Congo ou de la république d’Andorre, le garçonnet oubliera de jouer des tours aux voisins et de gaminer par les rues; les chiens ne le verront pas ce jour-là leur attacher des boîtes de fer blanc à la queue, et sa sarbacane ne lancera de pois dans les yeux de personne.
À quoi songe-t-il quand il passe alors tête basse et l’air sérieux devant votre porte ? Ce n’est soyez en sûr, ni à votre fillette ni à vos écus : il se demande si vous ne posséderiez point le timbre absent, et s’il doit vous l’aller quêter. Car vous êtes de ceux qui entretiennent une correspondance suivie avec des étrangers, ou bien vous êtes dans un ministère où tombent des lettres, et par là des timbres de tous les points du globe.
Je parie qu’il va sonner et vous prier de conserver ces timbres à son intention. Ne le refusez pas.
Le timbre-poste st un agent moralisateur; il tient les enfants à la maison, leur évite la mauvaise compagnie et leur enseigne quelque chose.
Ce quelque chose, c’est la géographie — la science peut-être la plus honteusement ignorée des Canadiens. Les albums dont se servent les collectionneurs classent les pays par les parties du monde; on apprend donc si le timbre de Perse appartient à l’Asie ou à l’Afrique.
Voici le timbre d’une des villes hanséatiques [villes d’Allemagne autrefois unies entre elles par une alliance commerciale]; l’enfant va chercher où le coller et, s’il est tant soit peu désireux de s’instruire, il étudiera l’histoire des villes libres, de cette vaste confédération qui ne comprenait pas moins de soixante-quatre ville allemandes organisées contre les pirates de la Baltique et pour des fins de commerce.
Mais le timbre-poste n’existait pas alors ! me dira-t-on.
Soit, mais les villes de Brême, Lübeck, Hambourg ont leurs timbres; étudier celles-là, c’est étudier la Hanse teutonique.
Aussi l’histoire et la géographie trouvent leur compte aux collections.
Contribution à une histoire québécoise de l’enfant. Qui, un jour, prendra la plume pour l’enfant d’ici ?