Être prisonnier à la prison du Pied-du-Courant à Montréal
Ce sont les Patriotes de 1837-1838 qui vont «étrenner» la nouvelle prison de Montréal, celle du Pied-du-Courant. En 1882, elle a toujours fière allure, mais on songe à la construction d’un nouveau lieu de détention. Reportage d’un journaliste de La Patrie le 27 novembre 1882.
[Elle] a une très belle apparence pour une construction datant de 1836 et, de loin, peu d’étrangers soupçonneraient que cet édifice en pierre de taille, de forme particulière, et à trois étages, avec toit mansard est une prison. […]
La nouvelle prison fut pour ainsi dire inaugurée en 1837 par les victimes politiques de cette époque néfaste, dont douze périront sur l’échafaud l’année suivante. Les deux premières exécutions, celles de Cardinal et de Duquette, eurent lieu en décembre 1838 au-dessus de la porte du mur d’enceinte, et furent suivies de dix autres dans le cours du même hiver. […]
L’entretien de la prison est confié au shérif par le gouvernement provincial qui en paie toutes les dépenses. La municipalité est cependant tenue de contribuer 25 cts par jour pour la pension de tout détenu condamné pour une offense contre les règlements municipaux. Le compte mensuel s’élève toujours à une somme considérable.
Les prisonniers, en entrant dans la prison, sont revêtus d’un costume spécial d’étoffe blanchâtre et mis à l’ouvrage. D’après le règlement, ils se lèvent avec le soleil, et du 1er octobre au 1er avril, ils commencent leur travail à 8 heures du matin, pour ne l’abandonner qu’à la tombée du jour. Pendant le reste de l’année, lorsque les jours sont longs, ils travaillent de sept heures du matin à six heures du soir, l’heure du dîner non comprise.
Les cordonniers, les tailleurs et les menuisiers et charpentiers ne font que des travaux pour la prison. Il y a toujours plus de représentants de ces corps de métier qu’il n’en faut. On ne peut employer constamment que huit ou dix cordonniers, autant de tailleurs et deux ou trois menuisiers. Les autres, comme le reste des prisonniers, sont obligés de casser de la pierre ou d’effiler du câble.
Ceux qui refusent de travailler sont mis au pain et à l’eau ou incarcérés dans des cellules que l’on appelle cachots, mais qui n’en sont pas réellement; elles ont toutes une ouverture quelconque laissant pénétrer de la lumière.
La nourriture des prisonniers consiste en une chopine de gruau et 1 ½ lb de pain par homme au déjeuner et au souper. On sert de la viande au dîner deux fois par semaine et de la soupe grasse deux autres fois. Le vendredi, du gruau seulement au dîner, et un autre jour ½ lb de patates remplace la viande ou la soupe.
Ce n’est pas une table d’hôte comme l’on voit. […]
Le système de surveillance est bien organisé, mais, malgré toute son efficacité, les tentatives d’évasion et même les évasions sont assez nombreuses parmi cette foule de criminels audacieux qui ne cherchent qu’une occasion favorable de se soustraire à la vigilance de leur gardien. On calcule qu’il y a en moyenne quatre ou cinq évasions par année. Toutes sont signalées au gouvernement par un rapport du shérif, mais le public que la chose ne regarde pas n’est pas tenu au courant de ces détails. Il paraît aussi qu’on se donne peu de peine pour rattraper les fugitifs. Il ne serait pas dans l’intérêt du gouvernement d’en agir autrement. […]
La prison actuelle ne suffisant plus aux besoins de la justice — nous sommes dans un siècle de progrès, c’est connu — le gouvernement a, dit-on, l’intention d’en faire construire une autre, mais le choix de l’emplacement n’a pas encore été fait.
Cette nouvelle prison sera le pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul, tout juste au nord de la rivière des Prairies. On en fait la visite en 1893.
Ci-haut, la gravure de J. Duncan (1839) provient de la page Wikipédia consacrée à la prison du Pied-du-Courant.