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Être prisonnier en 1893

Le 14 septembre 1893, La Gazette de Joliette propose une visite du pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul, tout juste au nord de la rivière des Prairies, dans la région montréalaise. L’hebdomadaire reprend un article du quotidien montréalais La Patrie.

 

Un de nos rédacteurs, en compagnie de camarades, est allé visiter ces jours derniers le bagne de Saint Vincent de Paul.

Un des principaux fonctionnaires de cette maison de détention, M. Labelle, s’est gracieusement mis à leur disposition et ils ont pu visiter dans tous les coins et recoins.

Il y a actuellement 394 détenus qui y vivent dans le silence et le travail forcé; leur costume consiste en un vêtement ordinaire et tout gris quand ils se conduisent très bien, gris avec carreaux noirs quand ils ne se conduisent que bien et gris avec des carrés rouges quand ils se conduisent mal.

Fahey et Béliveau se sont cachés quand nous sommes rentrés dans leurs départements respectifs; le premier est boulanger et le second trilleur. Belhumeur, qui a failli tuer son frère à St Thomas de Joliette, et Morin de Montmagny sont les principaux compagnons de Fahey à la boulangerie.

Bureau, qui a l’honneur d’être sacristain, sortait de la chapelle au moment où nous y entrions, et il a trempé humblement ses doigts dans le bénitier pour faire le signe de la croix. On dit qu’il se fait remarquer par sa piété et que sa conduite est exemplaire. Il sera rendu à la liberté prochainement.

Pitcher, le faussaire de Providence, était à causer avec sa femme quand nous sommes passés près de lui.

Viau, relégué dans un coin du département de la menuiserie, travaillait à un coffret en moraïque [sic] lorsque nous l’avons abordé. Il a une figure qui donne des hantises de mafia. Il ne recouvrera sa liberté qu’en 1906.

Le forçat Laframboise, qui a si brutalement assailli le gardien Sigouin, est encore à l’infirmerie; il fait probablement le malade, car il a une peur bleue des coups de fouet qui l’attendent. On lui administrera sa raclée dans quelque temps.

Le cow boy Morrisson est en excellente santé.

Il n’y a actuellement que cinq malades et personne ne gémit dans le donjon.

Une visite à ce fameux donjon donne la chair de poule; les cachots y sont petits et ténébreux; quatre murs blancs, deux portes dont l’une grillée et l’autre massive, noire et une lourde chaîne rivée à la pierre, c’est tout ce dont se compose chacun de ces cachots. Quand tout y est fermé, il y fait noir comme dans un four et l’on se demande comment un être humain a déjà pu passer six mois en pareille retraite; un forçat, qui est probablement Viau, y a fait ce séjour.

On sort de ce donjon en frissonnant et l’on songe aux alcôves maudites d’Avignon où, dit Michelet, l’on pouvait entendre «le râle, les cris, les bris secs des os qui craquaient».

La vie de forçat est à peu près ce qu’il y a de plus monotone; on se lève à six heures, on déjeune, on va faire la prière à la chapelle, on se rend à l’ouvrage, on dîne, on retourne au travail, puis l’on rentre dans les cellules à cinq heures de l’après-midi pour n’en sortir que le lendemain. Et il en est ainsi tous les jours de l’année, excepté toutefois le dimanche où toute la journée est passée dans les cellules.

On est actuellement à faire des travaux considérables au pénitencier; un nouveau mur d’enceinte a été érigé et est à peu près terminé.

Le domaine des détenus se trouve considérablement agrandi et on y érigera avant longtemps un pavillon pour les femmes et un pavillon pour les forçats qui deviennent fous. Le nombre de ceux-ci est assez important. Ces jours derniers encore, on a conduit un nommé Fayn à Kingston.

Les travaux se poursuivent actuellement sous la direction de M. Labelle et sont faits par les détenus.

Une chose qui frappe, c’est de voir comme tous les misérables, que le vice et le crime ont fait échouer à ce bagne, ont la figure pâle, glabre, étique et les yeux enfoncés. On sent qu’un mal général mine ces malheureux.

 

Source de cette photographie de Brian Siewiorek : http://www.flickr.com/photos/planetschwa/110982694/

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