Un ancien trouve la vie bien triste
Le personnage, qui signe justement «Un ancien», règle son compte à la vie d’aujourd’hui. L’Étoile du Nord (Joliette) du 15 mai 1896 lui donne la parole.
Comparons nos mœurs d’aujourd’hui avec celles d’autrefois… Quel changement ! Autrefois, on demeurait sur ses terres; aujourd’hui, on les abandonne. Autrefois, une simple promesse verbale valait une promesse écrite; la parole d’un homme avait autant et plus de valeur que nos obligations actuelles rédigées par le notaire. […]
Autrefois, on vivait heureux car on savait se contenter de peu, on ne s’étudiait pas à se créer des besoins factices; aujourd’hui, on est devenu esclave de ses aises, de ses propres commodités. Autrefois, de la laine de ses brebis on se fabriquait soi-même de riches tissus, de chaudes étoffes du pays; on filait le chanvre, le lin, dont on savait si bien confectionner de ces toiles fortes, hygiéniques, nécessaires aux différents usages domestiques; aujourd’hui, on préfère courir s’endetter chez le marchand et le tailleur, on n’hésite même pas à payer un tribut énorme au filatage du juif et au blanchissage ruineux du chinois ! Autrefois, on faisait tout de ses mains; aujourd’hui, on ne sait plus que dépenser follement. […]
«Le plaisir avant tout !» s’écrie-t-on aujourd’hui bien plus encore par les actes que par les paroles. Nos pères suivaient une maxime bien différente : «Avant tout le devoir», disaient-ils, et je voudrais bien savoir s’ils n’avaient pas raison !
Autrefois, durant les jours de la semaine, le soleil a rarement contemplé «régnant sur le duvet une heureuse indolence»; et même les pâles rayons de la lune ont maintes fois guidé la main active de nos ancêtres dans leurs pénibles travaux; aujourd’hui, on trouve le moyen de passer des jours et des semaines à ne rien faire. […]
Autrefois, l’enfant respectait l’autorité paternelle; il ne s’absentait jamais sans avoir au préalable obtenu la permission de ces parents; aujourd’hui, l’enfant se moque de son père et de sa mère; c’est lui qui élève la voix dans les contestations, et les parents manquent d’énergie, de dignité au point de laisser tomber de leurs mains le sceptre de l’autorité !… […]
O Canadiens ! revenons aux mœurs d’autrefois ! conservons à tout prix les bonnes traditions des anciens canadiens… Conjurons le Dieu de nos pères de nous ramener dans le droit sentier de l’honneur et de la foi, suivons le chemin arrosé du sang de nos martyrs ! Puissions-nous à l’exemple de nos aïeux être toujours dociles à la voix de la religion et de la patrie, dévoués jusqu’à la mort à nos pasteurs : nos évêques, nos prêtres !
Puissent nos enfants revenir respectueux de l’autorité paternelle ! Puisse notre cher Canada comprendre la sublimité de sa vocation, de sa mission providentielle; puisse-t-il marcher avec un peu plus de fierté légitime vers ses hautes et immortelles destinées, mériter de s’intituler : «Gesta Dei per Francos !». [L’Action de Dieu passe par les Francs]
La photographie d’une dame de la localité des Écureuils filant la laine au rouet fut prise par J. W. Michaud en 1948. Elle est déposée à Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Québec, Fonds ministère de la Culture et des Communications, Office du film du Québec, Documents iconographiques, cote : E6, S7, SS1, P64724.
Pauvre homme, j’espère pour lui qu’il n’a pas vécu trop longtemps dans le 20e siècle ! Si en 1896, il écrivait « revenons aux moeurs d’autrefois », alors que le monde évoluait bien lentement à cette époque, j’imagine qu’il vivait dans la peur… La peur du changement, de la perte de contrôle… On sait pertinemment que jamais on ne revient en arrière, la vie, c’est par en avant. Même si on parle de « retour du balancier », ce qui est passé fait que ce qui vient ne pourra pas être semblable…
Bien dit, chère Vous.