Réflexion sur les langues
Dans la presse québécoise voilà plus de 100 ans, on parle fréquemment de langue. La situation des Québécois de langue française, minoritaires en Amérique en Amérique du Nord, y est sans doute pour quelque chose.
Voici un autre texte sur la langue, celui-ci de l’hebdomadaire La Tribune (Saint-Hyacinthe) du 30 mai 1890.
On a souvent discuté la question de savoir si dans l’avenir tous les idiomes parlés se confondront dans une seule langue. Comme cette hypothèse est inadmissible, on n’en est tout naturellement jamais arrivé aux mêmes conclusions.
La pluralité des langues, qui date de la tour de Babel et qui, par la suite de la multiplication et de la dispersion de la race humaine dans toutes les parties du monde, s’est imposée par suite de la diversité des climats, de la grandeur des distances et de la différence des mœurs et des coutumes, est maintenant une nécessité que nos moyens actuels de communication, la diffusion de la science, etc., etc., tout considérables qu’ils soient, ne sauraient jamais faire disparaître.
Le Gaulois, journal français publié en Californie, traite de cette question dans un article remarquable et n’est pas loin de conclure que la suppression des langues au profit d’un seul idiome est tout simplement une utopie.
«Si jamais», dit-il, «vous agitez la question de langues avec un Américain, disons plutôt une jolie miss Américaine, elle vous assure avec une conviction sincère que dans quelques années l’anglais sera la langue, la seule langue et l’unique langue du monde entier.»
N’avons-nous pas vu tout récemment miss Bly, une jeune Newyorkaise de 19 printemps, exécuté le tour du monde en 67 jours, uniquement pour montrer au public qu’une personne qui parle l’anglais peut faire un tour de force semblable ? On a beau faire remarquer qu’un paquet de laine bien ficelé et bien adressé eût exécuté exactement le même trajet, l’anglais n’est pas moins destiné à supplanter toutes les autres langues !
En parlant de langues, on se rappelle des faits assez curieux :
Quand le grand Alexandre se mit un jour en marche avec ses cohortes, il dit à ses sujets grecs : «J’irai partout porter nos armes et notre langue.»
Quand César conquit les Gaules, il écrivit au Sénat : «Les chefs des barbares passeront sous les Fourches Caudines, mais leurs fils parleront notre langue.»
Quand Cromwell eut l’Irlande à ses genoux, il fit entendre par sa première proclamation ceci : «Vous êtes maintenant les sujets de l’Angleterre, vous parlerez sa langue.»
L’Angleterre fait dire en ce moment par une de ses succursales : «Canadiens-Français, vous ne parlerez plus votre langue.»
Quand la Russie a voulu incorporer dans son grand empire toutes les provinces baltiques, un tant soit peu teutonnes, elle fit quoi ? Table rase de la langue allemande.
«Désormais, on parlera russe chez nous», dit le Czar.
L’Anglais et l’Américain vont plus loin, eux; ils disent : Non seulement on parlera l’anglais chez nous, mais dans quelques années on ne parlera que l’anglais dans l’univers entier.
Or, ils oublient que c’est arracher le cœur d’un peuple que de supprimer sa langue. Et arracher le cœur à une nation est une chose totalement impossible.
La photographie prise lors d’un congrès mondial d’espéranto à Anvers en 1911 apparaît sur la page Wikipédia consacrée à cette langue dont le créateur espérait qu’elle devienne langue universelle.