Ce qu’est le rire

Ce qu’on aime rire au Québec ! On paie des fortunes pour nous faire rire et nos «humoristes» sont millionnaires. D’ailleurs, nous allons passer la soirée du 31 décembre devant l’écran, en espérant se marrer pendant des heures. Texte de circonstance. Réflexion sur le rire dans le quotidien Le Canadien du 22 décembre 1891.

Il est étrange que le rire soit dû généralement à une cause mentale, sans aucune influence corporelle et qu’il provienne quelquefois d’une irritation de nerfs tout à fait indépendante du sentiment de joie. De la première espèce est le rire bruyant de l’hystérie et le rire convulsif qui est provoqué parfois par les événements les plus douloureux, de la seconde espèce est le rire produit par le chatouillement, rire dont, chose horrible à dire, on a fait parfois une torture pour amener des aveux.

La description du rire est assez difficile à faire; il consiste en une série d’expirations involontaires légères et se produisant par secousses, généralement accompagnées d’un bruit qui rappelle habituellement une des voyelles a, o ou e.

Le sourire diffère du rire en ce qu’il est volontaire, n’a pas de rapports avec la respiration et consistant seulement en une contraction des muscles de la face.

Les joues s’élèvent un peu et les yeux sont relativement clos. Le rire est l’expression de la joie vive, le sourire de la bienveillance et du plaisir. Les causes du rire sont obscures. Le plaisir amène la gaîté; un bonheur inattendu tire souvent des larmes, et l’on découvre de l’analyse que le rire tapageur du spectateur d’humeur joviale jaillit d’une source toute différente de celle du plaisir.

Une cause ordinaire du rire est une combinaison d’images incongrues. On dit que Chrysippe mourut de rire à l’idée d’un âne invité à un banquet. Suivant Valerius Maximus, un destin semblable attendait Philémon; et on nous dit que le Pope [sic] mourut de la même manière parce qu’il avait vu la tiare placée sur la tête d’un singe. Une question qui a beaucoup intrigué les moralistes et les métaphysiciens est de savoir pourquoi on rit en voyant quelqu’un tomber.

Ce rire est quelquefois irrésistible, même quand on peut croire que la personne qui est tombée s’est fait beaucoup mal. On peut en trouver un prétexte dans la position burlesque que la victime prend parfois en tombant; on a cité à cette occasion la maxime de La Rochefoucault «qu’il y a dans le malheur de nos meilleurs amis quelque chose qui ne nous déplaît pas».

Pour l’honneur de l’humanité, nous voulons croire qu’il y a là seulement un symptôme d’agitation. On nous a cité un exemple, qui n’est pas rare d’ailleurs, d’un monsieur qui, chaque fois qu’il tombait de son cheval, ce qui lui arrivait souvent, était toujours pris d’un violent éclat de rire. Un docteur a remarqué qu’une chute sur le haut de la tête est généralement accompagnée d’un rire convulsif. Nous ne savons si cette remarque est juste.

La conclusion de tout ceci est que le rire est un mouvement de tremblement du diaphragme, mouvement qui n’est pas de toute nécessité causé par la joie, mais plutôt par la surprise.

L’huile sur toile — Scène d’hiver, de Gaston Hoffmann — est la propriété du Musée du Québec [devenu le Musée des beaux-arts du Québec], cote : A 63 37 P. Photographie  de N. Bazin. Selon David Karel, Hoffmann, caricaturiste, peintre de genre et professeur de beaux-arts, était au nombre des Français que l’on convia dans les années 1920 à favoriser par leur présence le fonctionnement des écoles des beaux-arts nouvellement fondées à Québec et à Montréal. «Hoffman décora d’une murale le restaurant Kerhulu à Québec et les deux panneaux qui constituaient cette œuvre sont conservés au Musée du Québec.» Voir David Karel,  Dictionnaire des artistes de langue française en Amérique du Nord, Québec, Musée du Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1992, p. 397.