Une bibliothèque d’il y a 2000 ans
Dans mes travaux en histoire, j’aime tant tomber soudain sur l’existence de bibliothèques. Se cache là la culture d’une personne, d’un peuple de ce temps, quelle que soit la période. Dans notre étude sur Les modes de vie de la population de Place-Royale [à Québec] entre 1820 et 1859, mon collègue historien John Willis et moi avons eu le bonheur de découvrir, dans les inventaires après décès tenus par les notaires, quelques bibliothèques. Du bonbon.
Dans mon ouvrage L’histoire du Vieux-Québec à travers son patrimoine, publié aux Publications du Québec en 2007, j’ai eu le plaisir d’utiliser un travail de l’historien Gilles Proulx sur la présence des livres à Québec de 1660 à 1760. Nous reviendrons un jour sur les livres dans les bibliothèques de Québec.
Maintenant, voici que L’Étoile du Nord du 22 novembre 1884 nous parle de la découverte d’une bibliothèque à Herculanum, cette ville italienne détruite en 79, au même moment que Pompéi, par la grande éruption du Vésuve.
On fouille chaque jour avec attention et succès les ruines qui en restent, et ces fouilles ont amené les découvertes artistiques les plus précieuses.
Il y avait en cette ville beaucoup d’habitants riches et instruits. Aussi le nombre de papyrus ou livres déjà découverts dans la masse compacte, où la ville presque toute entière est encore enfoncée, est-il très considérable.
Dans la maison que l’on appelle la villa des Pisons, on a trouvé une bibliothèque, incomplètement explorée jusqu’ici, d’où l’on a tiré 1803 papyrus dont deux cents environ sont maintenant publiés; on a pu lire les noms des auteurs de soixante-cinq de ces volumes, ou les catalogues, ainsi :
Onze volumes d’Épicure, faisant partie du traité sur la nature (Peri Fuseos), qui était divisé en 37 livres;
Cinq volumes de Démétrius qui paraît être le péripatéticien de Byzance;
Deux volumes de Polystrate, le troisième dans la succession des chefs de l’école épicurienne;
Deux volumes de Colotes, disciple connu d’Épicure.
Un volume de Chrysippe;
Un volume de Carniseus, auteur jusqu’ici inconnu;
Quarante-trois volumes de Philodème, ami de Calpurnius Pison, peint avec des traits si repoussants dans un discours de Cicéron, son discours in Pisonem.
On croit que Calpurnius Pison dut se retirer à Herculanum vers l’an 43, dans cette villa où l’on a trouvé un buste qui peut être son portrait. Il y emmena très probablement son ami et son maître Philodème, qui installa sa bibliothèque dans ce qu’il serait peut-être permis d’appeler son appartement; la villa était de toutes autres dimensions que celles des petites maisons de Pompéi.
La bibliothèque de Philodème est presque uniquement grecque. Sur 341 papyrus déroulés, 18 seulement sont latins.
Philodème était un des disciples de la doctrine d’Épicure; le choix de ces livres et les noms de leurs auteurs que nous venons de citer le montrent assez clairement; le fait est encore mieux affirmée par ses propres ouvrages. Du reste, il ne jouissait pas d’une grande autorité comme philosophe; il était meilleur poète. Cicéron parle de lui avec assez d’estime.
Il est à remarquer, selon le témoignage du savant Fiorelli, qu’à Herculanum les papyrus étaient placés, non pas dans des boîtes, mais dans les rayons des bibliothèques.
On n’a trouvé aucun manuscrit papyrus à Pompéi; il faut se garder d’en conclure qu’on n’y aimait pas la littérature; c’était certainement tout le contraire : Pompéi était, comme le dit le savant M. Egger, toute pleine des élégances helléniques. On y a trouvé une boutique de libraire; il ne devait pas être le seul. On pourrait presque dire que la poésie y courait les rues; sur les murs on lit des fragments des pièces de vers. Comment se fait-il donc qu’on n’ait pas tiré de ces fouilles un seul volume de littérature ou de science ?
Ce qui étonne, c’est de voir jusqu’à quel point les gens qui habitaient cette villa des Pisons, en Italie, se nourrissaient de la pensée grecque, et épicurienne.