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Enfin des nouvelles d’Owney ! (première partie)

Depuis que je dépouille la presse québécoise que j’entends parler d’Owney. Régulièrement, on échappe son nom dans les journaux. Mais ce ne sont que des allusions à ses passages au Québec, il n’y a rien de consistant. Pourquoi donc ce chien était-il si attachant ?

Tout commence un soir de pluie à Albany, dans l’État de New-York, quelque part en 1888. Un jeune chien abandonné, terrier métissé, à la recherche d’un abri pour la nuit, entre par la porte arrière du bureau de poste laissée entrouverte. Immédiatement, l’odeur des sacs de courrier l’attire et il s’y couche. Le postier de nuit, prénommé Owen, le trouve fort attendrissant. Pas question, donc, d’expulser la bête qu’on appellera Owney, nom dérivé de celui du postier.

Dans Le Monde illustré du 10 mars 1894, un journaliste, Léon Ledieu, qui habite Québec, rue d’Artigny, en parle enfin. Et d’abondance.

 

Owney était — car il est mort — un chien très connu de réputation aux États-Unis et au Canada; plusieurs journaux de Montréal en ont parlé, à l’occasion de son décès, mais comme je connais, sur la vie du défunt, des détails absolument inédits, je crois devoir les publier pour conserver la mémoire de ce chien de bien.

* * *

Je me trouvais, l’autre soir, chez Faucher de Saint-Maurice […] quand deux de ses cousins vinrent fumer une pipe avec lui. L’un d’eux, M. Octave Talbot, conducteur de malles (employé ambulant) depuis vingt ans, sur le chemin de fer de l’Intercolonial, nous raconta quelques épisodes de voyage, déraillements, collisions, accidents de chemin de toutes sortes dont il avait été témoin, quand s’interrompant tout à coup :

— Mais une des plus curieuses aventures que j’ai jamais eues, c’est celle qui concerne Owney, qui vient de mourir.

— Owney ? Qu’est-ce que c’est ça, Owney ?

— Un  bon chien.

Et M. Talbot nous raconta comment il l’avait vu pour la première fois, couché dans le wagon-poste qui se rendait de Montréal à Halifax. Il crut d’abord qu’il appartenait à un voyageur, mais voyant qu’il ne voulait pas aller ailleurs que dans ce char, il en prit soin jusqu’à destination. À Halifax, le chien s’en alla Dieu sait où, mais, en repartant pour Lévis, M. Talbot le retrouva dans le wagon-poste, comme s’il était chez lui.

Il essaya de s’en débarrasser plusieurs fois à Québec, mais l’animal tenait bon.

Son propriétaire malgré lui commençait à en avoir assez, d’autant plus que, ne voulant pas le laisser mourir de faim, il était forcé de payer sa pension, quand, un beau matin, il regarda son collier :

«Owney, P. O., Albany, N.-Y.»

— Ma foi, dit-il, je vais écrire au bureau de poste d’Albany; peut-être connaît-on ce chien là-bas.

 

Deux jours plus tard, il reçut la réponse suivante :

« Albany, N.-Y., 14 mars 1891.

O. Talbot, Ecr., Québec,

Cher Monsieur,

Votre honorée du 11 courant relative à Owney m’arrive à l’instant. Ce chien a élu domicile au bureau de poste d’Albany, et bien qu’il n’appartienne à aucun employé, il est considéré comme «attaché» au bureau et a reçu en cette qualité, il y a trois ans, le collier qu’il porte. Il a un penchant pour les voyages en chemin de fer et est connu de tous les employés et maîtres de poste des États-Unis. Les dernières nouvelles que nous avons eues de lui, avant votre lettre, nous venaient d’Halifax, N.-E. Vous voyez donc qu’il a fait une assez longue excursion. Vous trouverez ci-joint un mandat-poste de $2.00 montant par vous dépensé et vous prie d’accepter nos sincères remerciements.

S’il vous arrivait de le rencontrer encore en voyage, veuillez le confier aux employés de la poste du chemin de fer et soyez certain qu’il retrouvera certainement sa route pour revenir chez lui.

Prière de l’envoyer via Montréal comme vous avez l’intention et vous obligerez.

Vôtre très respectueux,

Jas M. Warner,
Maître de poste.

N. B. Écrivez-moi un mot au moment du départ. »

 

M. Talbot offrit à Owney un copieux dîner d’adieu, lui attacha au collier un petit sac contenant quinze cents, et une étiquette portant ces mots : «J’ai de l’argent dans ma bourse.»

Puis il jeta à la poste la lettre suivante :

« Québec, 18 mars 1891

M. Jas Warner, maître de poste,
Albany.

Owney part ce soir par le train de 8.15 hrs, lesté d’un bon lunch et de l’argent nécessaire au voyage. J’espère qu’il arrivera à bon port et qu’il vous donnera de ses nouvelles aussitôt débarqué. Owney s’est très bien conduit ici et ne laisse que des amis.

Vôtre tout dévoué,

O. Talbot. »

 

Entre nous, Owney avait mangé une partie aussi notable que charnue d’un policeman qui s’était aventuré à s’asseoir sur un sac de lettres, à Connors, Madawaska, mais il faut ajouter aussi qu’il n’a jamais eu que ce cas de policemanphagie sur la conscience.

Il arriva à bon port et, le surlendemain, M. Talbot, reçut la lettre suivante :

« Albany, N.-Y., 20 mars 1891

O. Talbot, Ecr., Québec.

Cher Monsieur,

Owney est arrivé ce matin et fait retentir le bureau de ses joyeux aboiements. Il paraît très heureux de revoir ses vieux amis qui l’ont accueilli avec plaisir.

Nous ne serions pas surpris de le voir bientôt repartir et, s’il va vous retrouver, dites bien aux enfants d’être bons pour lui, mais donnez-lui la liberté quand il sera fatigué de son séjour et qu’il éprouvera le besoin de changer d’air. Je suis certain qu’il retrouvera toujours le chemin du bureau.

Merci encore.

Vôtre etc.,

Jas. M. Warner, M. P. »

 

L’image ci-haut est celle d’Owney. Après son décès, on conservera sa dépouille pour la naturaliser et la placer bien en évidence au Smithsonian National Postal Museum, à Washington. Cette image provient de la page Wikipédia consacrée à Owney. Portez attention; l’année de décès d’Owney sur Wikipédia (1897) n’est pas celle de Léon Ledieu.

Notez qu’il y a quelques jours, je proposais aussi cette histoire sur l’intelligence du chien.

La suite de cette histoire : demain bien sûr.

2 commentaires Publier un commentaire
  1. josee jacinthe #

    je ne raffole pas de taxidermie mais ici, cela semble confirmer cette histoire un peu incroyable à moi, propriétaire d un chien. ceci dit, ce récit nous mène dans une zone de liberté confinant au fantasme: voyage à rabais quand et où bon nous semble, bon accueil garanti. sans parler du gps auto-propulé de owney. bien, merci à léon ledieu pour cette histoire – pas la première fois que je le remarque – contemporain – il serait à suivre….

    6 mars 2013

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  1. Enfin des nouvelles d’Owney ! (seconde partie) | Les Quatre Saisons

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