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Nous parlons depuis bien longtemps

Voyez la beauté de ce texte de la journaliste française Florence Rosier.

Pour le journal Le Monde (Paris), cette dame à la bien belle plume propose une magnifique introduction au dossier qu’elle a préparé sur la voix humaine. Dans ce dossier, elle y va en deux temps : la naissance de la voix humaine chez l’enfant et un retour au temps très lointain de l’apparition du langage parlé.

Mais attardons-nous à son introduction. Extraits.

C’était une voix grave et douce, une voix de jeune homme blond ou de jeune fille brune, d’un timbre frais et pénétrant, résonnant comme un chant de cigale altéré à travers la brume poudreuse d’Égypte… », raconte Gérard de Nerval (Voyage en Orient, 1851). Mystérieuse, envoûtante voix parlée. Elle nous convie à un vertigineux voyage dans le temps. Un double voyage, à court et très long terme. À l’âge des biberons d’abord : pourquoi la voix humaine est-elle vitale pour le nourrisson ? À l’âge des cavernes, ensuite : quand et comment est apparue, chez un de nos lointains ancêtres, cette voix articulée, « alchimie entre la raison et l’émotion », comme la définit Jean Abitbol, chirurgien phoniatre et médecin ORL, dans Voix de femme (Odile Jacob, 256 p., 21,90 ) ?

« Au commencement était le verbe », écrivait Jean l’évangéliste. Le verbe, au vrai, ne fut pas au commencement de tout. Mais il fut au commencement du genre humain, ce qui n’est pas rien. Aujourd’hui encore, il se tient au tout début de chaque vie humaine. Un miracle sans cesse rejoué, puisque la voix de la mère se grave dans la matière molle d’un cerveau à partir du sixième mois de vie utérine. Ce sceau indélébile servira d’empreinte à l’enfant — du latin infans, « celui qui ne parle pas » — pour apprendre sa langue maternelle. Nombreux sont les animaux qui vocalisent, mais seul parle l’homme. […]

Que serions-nous sans la parole ? Question absurde, en vérité, tant elle se fonde sur le langage pour être pensée et formulée. Tant le verbe a engendré notre espèce, tant il a coévolué avec notre cerveau. Que serions-nous sans mythes fondateurs, sans épopées à raconter au coin du feu ? Sans chants et sans prières, matière spirituelle à souder les tribus humaines ? Sans la chaleur, sans la caresse des mots chuchotés, matière affective à irriguer nos âmes ? Sans le langage élaboré, matière intellectuelle à coordonner nos activités sociales ? […]

Être chétif, l’homme ne pouvait guère compter sur ses moyens physiques pour combattre ou pour fuir. Pour survivre et prospérer, il a donc misé sur ses ressources cognitives et sociales, dopées par le langage. Nommer les choses — objets, sentiments et concepts — a stimulé notre imagination, vivifiée son inventivité, éveillé sa fibre artistique. Le langage a permis la pensée symbolique.

« À travers la langue que nous parlons résonnent les voix des peuples qui se sont éteints il y a des milliers d’années », observe Vassilis Alexakis (Le Premier Mot, Stock, 2010). Bien avant que n’apparaisse l’écriture, c’est sur le seule parole qu’ont reposé la transmission des savoirs et leur accumulation, au fil des générations. Un prodigieux avantage propre à notre espèce. L’expérience humaine a forgé de nouveaux mots : un cercle vertueux.

 

Florence Rosier, « L’épopée de la voix humaine », Le Monde (Paris), édition du 11 septembre 2019, Cahier Science & Médecine, p. 1.

Prêtez aussi attention à l’illustration signée Serprix.com. On voit bien dans la tête de l’enfant le visage de sa mère occupée à nourrir sa voix. Cliquez sur l’image.

Bref, tout cela — l’écriture de Madame Rosier et l’illustration de Serprix — rend fort bien ce sujet de l’épopée de la voix humaine.

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