A-t-on tenu un jour quelque part au Québec un dénombrement des accidents survenus sur les ponts de glace ?

Chose certaine, de nombreux audacieux ont défié les éléments naturels. Ici, nous sommes sur le pont de glace entre Québec et Lévis.

On sait que vendredi dans la nuit une longue fissure s’est déclarée le long du chemin [balisé] du côté de Lévis.

Hier matin [dimanche], pendant le montant, il s’est fait une nouvelle fissure du côté de cette ville.

Le pont s’est ouvert tout à coup diagonalement, coupant le chemin en travers, et une partie s’est mise à monter lentement en amont avec le courant, tandis que l’autre partie, qui tient la clef, est resté fixe. La fissure s’est élargie ainsi d’une cinquantaine de pieds environ [un peu plus de 15 mètres], puis la glace s’est arrêtée.

À ce moment, une voiture, dans laquelle se trouvait une seule personne, un cocher nommé J. Rancour, traversait à Québec. La glace se fendit à quelques pas de la voiture, qui se trouva sur l’immense morceau de glace en mouvement. On conçoit l’épouvante de l’imprudent cocher. Il se cru perdu et appela au secours.

Un grand nombre de personnes, heureusement, étaient réunies sur les quais à regarder le pont. Elles virent sa position critique. Plusieurs hommes se précipitèrent à la rescousse avec un canot qu’ils mirent à flot dans la fissure ; sauver l’homme était chose facile, mais il n’en était pas de même du cheval et de la voiture, l’embarcation n’étant pas assez grande.

On dut jeter le cheval à l’eau et l’atterrir en le tirant avec une corde. Le pauvre animal paralysé par l’eau froide, tomba sur la glace et fut quelque temps sans pouvoir se relever. Quant à la voiture, elle fut démontée et mise dans l’embarcation morceau par morceau pour être transportée à terre.

Peu de temps après, la crevasse se referma, mais jusqu’à la veillée, il était resté un grand trou au milieu du chemin que les piétons étaient obligés de contourner pour traverser.

L’Électeur (Québec), 18 avril 1892.