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De la neige, de la neige, de la neige…

Et soudain la catastrophe. À Lévis cette fois-ci. L’avalanche.

Vers 7.30 heures, hier soir, une masse énorme de neige se détacha du haut du rocher et vint s’abattre sur deux maisons construites justement au pied du cap. Ce morceau de neige formé lors de cette dernière tempête avait la forme d’un cône et renversait par-dessus le bord du cap, surplombant ainsi les maisons placées dans son voisinage immédiat.

Les maisons portant les numéros 222 et 225 de la rue Saint-Laurent, deux magnifiques édifices à deux étages, construits en bois et lambrissés en briques, furent réduites en atomes. La première maison, qui est la propriété de M. J. C. Hamel, marchand de Lévis, était divisée en trois logements respectivement occupés par Émile Angers, J. Fournier et une autre famille dont le chef, ainsi qu’Angers et Fournier, est journalier. Angers et sa famille occupaient le second étage, qui fut arraché du reste du corps de logis et renversé sans dessus dessous de travers dans la rue. Angers et deux de ses enfants furent tués. Mme Angers ainsi que ses quatre autres enfants s’en tirèrent miraculeusement avec quelques contusions. Les deux familles qui demeuraient au premier ont eu beaucoup de peine à sortir de l’avalanche de neige qui est venu remplir leur logis jusqu’au bord, elles ne doivent leur sauvetage qu’au plafond et aux plâtres de leur étage qui tint bon à divers endroits.

La maison portant le No 225, propriété de M. James King, maître-charretier, et occupée par lui-même et sa famille, est une ruine complète. L’avalanche la fit se tordre et s’ébranler sérieusement. Une partie de la construction en briques fut détruite. Une jeune fille de M. King, âgée d’environ 14 ans, qui, d’après le témoignage de son frère, se tenait près de la cheminée au moment de la catastrophe, fut ensevelie vivante sous un amas considérable de débris ; les recherches faites la nuit dernière pour trouver son cadavre furent vaines. […]

Il est impossible de décrire toute la confusion qui régnait hier soir sur le théâtre du sinistre. Plusieurs personnes, bravant la tempête, firent des fouilles pour aider les malheureuses victimes à sortir de leur prison. On ne fut pas lent à retirer les cadavres de M. Angers et de deux de ses enfants lesquels furent transportés chez un des voisins. […]

M. le chef de police Denis dit qu’il y aura 28 ans le 13 du mois prochain qu’on enregistrait à Lévis un événement analogue à celui-ci. 

* * *

Le lendemain, en matinée, le correspondant du quotidien montréalais La Presse réussit à se rendre sur place.

Votre correspondant était présent cet avant-midi lorsqu’on réussit à déterrer le cadavre de l’enfant de M. King. Il se produisit alors une scène indescriptible parmi les membres de la famille King. Malgré la tempête, les personnes présentes se découvrirent, et, très silencieusement, elles accompagnèrent la dépouille mortelle chez un voisin. On n’entendait que les sifflements de la tempête mêlés aux gémissements des parents et amis. La scène chez M. Frs Fournier, où les trois victimes de la famille Angers sont exposées, n’est pas moins triste et touchante. Les quatre enfants du défunt, sauvés miraculeusement d’une mort affreuse, regardaient d’un œil curieux les agissements de la foule.

Votre correspondant a questionné un de ces petits malheureux, mais il n’a pu obtenir autre chose de lui, que l’idée qu’il avait cessé de vivre, ayant assisté hier soir à la fin du monde. Il dit qu’il attend que son petit frère, sa petite sœur et son père se réveillent pour s’en aller avec eux au pays des élus. […]

 

La Presse (Montréal), 23 février 1898.

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