La Saint-Valentin (14 février)
C’est aujourd’hui la Saint-Valentin. En voilà encore une fête, une coutume de reléguée dans les combles, oubliée dans les obscurités des temps et dans les souvenirs vaporeux du passé.
Il est fini ce temps de cadeaux et de sérénades, de galanteries et de sonnets. Il est fini le temps où le jour de la Saint-Valentin, chaque admirateur envoyait à la dame de ses pensées une pièce de vers plus ou moins bien tournée, selon les dispositions poétiques de l’auteur qui, pour faire oublier ses méchantes rimes ou ses mauvaises césures n’omettait jamais d’accompagner son envoi d’un cadeau qui variait selon que plus ou moins de pièces sonnantes étaient cachées au fond de l’escarcelle.
Il est fini ce temps où, le soir de la Saint-Valentin, chaque amoureux suspendait une botte de fleurs à la porte de la maison de sa Valentine qu’il éveillait au milieu de ses rêves en lui lisant des madrigaux brûlants d’amour.
Elle est finie, cette poétique coutume qui se pratiquait encore en Écosse, au siècle dernier. Le matin de la Saint-Valentin, le premier jeune homme qu’une jeune Écossaise rencontrait devenait par là même son cavalier pour toute l’année.
L’histoire a oublié de parler cependant de tous les innocents trucs employés par plusieurs jeunes filles, qui, à l’exemple de la jolie fille de Perth, ne se montrait qu’au moment opportun.
Malheureusement, la Saint-Valentin est aujourd’hui tombée en désuétude ; elle ne compte plus que comme une chose du passé.
À peine si parfois, en ce jour du 14 février, quelque galant qui tient à demeurer en excellents termes avec le bon vieux temps, envoie-t-il un message d’amour à sa bien-aimée en ayant bien soin de ne pas oublier un sac d’écus, des titres, un blason, une couronne… une demande en mariage après tout.
O malheureux poète qui te plains sur le sort de cette gracieuse tradition, si jamais il te vient à l’esprit de la voir revenir sur la terre, mets-toi à ta fenêtre à la première heure du jour, et là, tu verras passer en automobile un Valentin Cupidon en chapeau haut de forme sur ses soyeuses mèches blondes et les mains gantées en peau de chevreau beurre frais. C’est le Valentin d’aujourd’hui qui distribue des cartes banales à domicile.
Tout du prosaïque, rien de charmant comme dans les temps d’autrefois, où à la cour de Charles II, la jolie demoiselle Stuart ayant choisi pour son Valentin le duc d’York, reçut de ce prince une rivière en diamants de 4000 Livres.
Nous ne saurions trop regretter la perte de ces vieilles coutumes toutes de poésie et de courtoisie, coutume qui ont été remplacées par cette mode absurde d’envoyer des chiffons de papier barbouillé de figures grimaçantes et qui sont expédiés franco à de pauvres êtres qui ont eu le tort de déplaire. Naturellement, il est bien entendu que ces « Valentins » ne sont pas signés.
Les honneurs du jour, pour cette coutume barbare, sont conférés aux maîtres d’écoles qui ont eu la malheureuse idée d’infliger une bonne raclée de martinet à leurs élèves qui s’en vengent en envoyant à leurs maîtres une image représentant un pauvre hère portant difficilement et laborieusement un gigantesque appendice nasal, un long corps fluet assis sur de courtes jambes maigrelettes et tenant entre ses doigts crochus une plume hérissée, emblème de sa royauté.
Souvent, c’est une demoiselle, qui, ayant eu le malheur de ne pas répondre aux déclarations enflammées de quelque Roméo, reçoit inopinément une caricature la représentant, fût-elle la plus adorable jeune fille au monde, sous les traits d’une vieille décrépie, filant la quenouille et ayant à chaque côté, en guise de galants et dévoués cavaliers, un perroquet loquace et un chat ronronnant.
Pourquoi nos jeunes et jolies citoyennes ne feraient-elles pas sortir de leurs poussiéreux tombeaux quelques-uns des anciens usages en acceptant, par exemple, la gracieuse coutume écossaise d’antan dont nous avons parlé en rappelant le nom de la jolie Fille de Perth ?
Ça ne coûte rien et la vie parfois si assombrie par les banalités de tous les jours acquiert un nouveau rayon de soleil pour la réchauffer et l’éclairer.
La Presse (Montréal), 14 février 1901.
Le quotidien montréalais fait la une de cette nouvelle.