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Les Beaucerons sont parfois impayables

Cette histoire se passe à Saint-Maxime, aujourd’hui la municipalité de Scott.

 Est-il permis de se demander pourquoi nos dramaturges vont chercher des sujets dans les tréfonds enténébrés du passé, lorsque les événements de chaque jour peuvent si bien leur fournir des motifs autrement vécus, comme, par exemple, celui-ci arrivé récemment dans notre village, et qui pourrait justement s’intituler : « Histoire d’un brave homme, d’un cochon et d’un couvercle de boîte ».

Voici l’un des plus vénérables et des plus respectables paroissiens de Saint-Maxime poursuivi depuis plusieurs semaines de l’appétit de manger du boudin, de la saucisse, du « porc-frais», et tous les plats que fournit d’ordinaire un porc qui s’étend sur une table après être passé au four, se dit que comme le carême allait venir sans qu’il eût encore satisfait sa friandise, il attela illico sa bête et se rendit chez un éleveur à trois milles du village.

Inutile de dire combien fut payé l’animal, mais le héros de l’aventure, le vieux fermier, nous affirme que le « monsieur » était des plus respectables. Le porc fut placé dans une boîte, et le vieux repris le chemin de sa demeure, la tête rentrée jusqu’au cou dans un bon « casque » le préservant d’un froid terrible, en savourant par anticipation les délices du bon boudin à l’oignon et des rillettes au chèvre-feuille ; et son rêve allait, avec l’accompagnement de petits grognements timides du goret dépaysé dans ce chemin de l’exil et de la mort… et plongé dans des inquiétudes que distrayaient heureusement les ornières d’un horrible chemin d’hiver pluvieux.

Dans ces préoccupations, le chemin fut aussi court au charretier qu’au cochon, et les trois milles furent franchis comme dans un rêve.

Baptiste, je t’invite à venir en manger, dimanche.

Et le premier paroissien rencontré et invité par le propriétaire du cochon accepta vivement, mais demandant des détails. Il apprit que c’était un goret de l’année qui allait être sacrifié.

Viens me voir ça un peu… un lard de trois cents.

L’invité accourt, le charretier se tourne sur le siège de la voiture, et de la boîte l’aperçoit vide, oui vide, ironiquement, odieusement vide.

Ciel ; le couvercle s’est déplacé dans le cahottement de la voiture ; le cochon s’est esquivé sans donner d’adresse ; le vénérable charretier se désole et l’invité refoule son appétit émoussé.

On retourne… on interroge les passants…

— As-tu vu mon lard qui est sorti avec mon couvert ?

— Non l’père. C’est ben d’valeur.

— Cré-tu !

Et de bouche en bouche [sic], la nouvelle met tous les paroissiens dehors et une battue en règle s’organise.

Les granges, les remises, les poulaillers, les écuries, les caves, les greniers mêmes sont visités minutieusement, la station du chemin de fer est même interrogée, parce que d’aucuns pensaient que le « monsieur » avait pu fuir vers d’autres cieux…. Les recherches demeurèrent vaines autant que désolé demeura le propriétaire et désappointé le malheureux invité.

Les lecteurs de « La Presse » par tout le Dominion et même aux États-Unis consoleront deux affligés si voyant dans leur localité un goret de Saint-Maxime, ils en informent notre maire qui ne manquera pas de leur promettre une douzaine de bon boudin.

 

La Presse (Montréal), 1er février 1900.

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