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Paris en hiver

Je ne sais si vous connaissez, mais cela s’apparente vraiment à ces dires de Charles ab der Halden, Français alsacien d’origine qui connaissait bien le Québec et fut critique littéraire.

En 1899, il est correspondant du quotidien Le Soleil. Il ouvre sa chronique en se désolant de l’hiver parisien.

Brrrr ! voilà l’hiver qui vient, notre hiver parisien, qui dédaigne se draper dans un manteau d’hermine, comme le vôtre, et laisse seulement ruisseler de sa grande barbe la giboulée triste, qui change nos rues en tartines de boue jaune et gluante.

Les marchands de marrons, auvergnats ou savoyards, ont rallumé la braise de leurs réchauds en plein vent ; on ne peut plus se lever qu’à la chandelle à moins d’être le plus invétéré paresseux. Les salons s’entrouvrent de nouveau, et nos députés discutent gravement le budget qui menace de ne pas être voté avant février ; c’est bien l’hiver. Il est d’ailleurs doublement sale cette année, grâce aux odieux chantiers de l’Exposition [Paris se prépare à l’Exposition universelle de 1900].

Il faut voir chaque pays dans sa saison ; jamais le midi n’est plus caractéristique et plus personnel qu’à l’heure où la cigale chante au bord du chemin blanc, entre les oliviers ; jamais la Hollande n’a plus de charme qu’en janvier, alors que sur les canaux qui surplombent le « polder », on voit glisser les patineurs ; jamais Paris n’est plus adorable qu’au printemps quand les premières feuilles bourgeonnent, quand le bois s’éveille de nouveau à la vie, quand les premières violettes font leur apparition.

Au Canada, l’hiver doit amener aussi bien les plaisirs dont nous sommes sevrés, et tandis que vos traîneaux, où vous glissez chaudement emmitouflés dans des fourrures, font tintinnabuler leurs clochettes, pensez un peu aux pauvres Parisiens qui trébuchent sur le pavé gras, et que les fiacres éclaboussent.

Quand aurons-nous, au réveil, la surprise délicieuse d’une fine couche de neige ! Voilà quatre ans bientôt que nous n’en avons vu pendant plus de vingt-quatre heures — juste assez pour doubler l’épaisseur de la boue.

 

Le Soleil (Québec), 19 décembre 1899.

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