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Que sait-on de la culture hongroise au Québec ?

Des femmes, des hommes ont écrit tellement de belles choses. Et je ne parle pas encore des musiciens, de musique classique ou populaire.

Pourtant, nous avons beaucoup en commun. Savez-vous que la Hongrie est un pays de 10 millions d’habitants, alors que nous sommes 8 millions 600 000. Qu’ils sont minoritaires en Europe comme nous le sommes en Amérique du Nord. Que longtemps leur langue seconde fut le français. Et quoi encore. Nous avons beaucoup en commun. Nouvel arrêt sur la Hongrie.

Connaissez-vous Gyula Illyès (1902-1983) ? « Poète entier, dit le poète français André Frénaud (1907-1993) à son sujet, poète plénier pour lequel rien n’est trop humble à chanter de ce qui constitue les chagrins et les joies des hommes ; qui ne dédaigne pas d’interroger l’homme à partir d’un plant de pomme de terre, ou de mettre en mouvement les recrues villageoises s’en allant pour le service ou pour la guerre. » Car la Hongrie a connu la guerre.

Voici ici Gyula Illyès dans un poème non daté, Remerciement. Sans doute un remerciement à son unique enfant, sa fille Maria.

 

Remerciement

Sur ma tombe croule le monde :

Les villes, les hautes forêts, toutes les Notre-Dame et les montagnes, et le firmament, tombent en ruine par-dessus moi.

Et me voilà gisant dessous. Mon indifférence, pourtant, quelque chose vient la troubler. Je tends l’oreille.

C’est ton pas sur cet océan de débris, ton cheminement dans ce désert, ô mon enfant aux yeux noirs.

 

Toi qui me survivras,

Mon inquiétante éternité. Née des révolutions de la création primitive comme de la quenouille le fil.

Combien de désagrégations et de renouements, combien de vies paternelles et maternelles, combien de torsions, pour produire ce brin de vie qui est le mien,

L’unique ! Le mien  seulement ? Voici que tu les prends à ton tour, Va-t-il casser ? Ou se tendre avec plus de force encore ?

 

Là ne sera pas mon souci.

Mais seulement de savoir si tu pleures ou si tu ris, ma petite fille. Si tu frissonnes quand vient l’hiver.

Si tu manges. Si l’on ne te fait pas trop de mal, Car en toi vit ma sensibilité exacerbée.

Et la vieillesse, la solitude, comment les supporteras-tu ?

 

Ayez pitié d’elle, vous les vivants, les hommes,

Vous de qui j’eus pitié, à qui j’ai rendu quelques services pour adoucir votre mauvaise fortune.

Le mérite que j’ai pu avoir, je le reporte sur elle, sur celle qui l’a mise au monde.

Qu’elle soit mon unique immortalité, mon cénotaphe.

 

Tu grandis, et moi je te fais le signe de l’adieu.

Tu ne me connaîtras jamais, mon enfant aux yeux de scarabée. Ce que j’ai créé, ce n’est qu’une partie de moi. Le maçon est plus grand que la maison.

Quarante années sont entre nous, aussi longues que tout le temps qui nous sépare de César. Chaque jour t’éloigne encore de moi.

Et seul me reste un mystérieux présent.

 

Je te remercie, ô inconnue, pour ce cadeau que tu m’as apporté du fond de l’immense distance.

Je ne te demande pas de qui tu le tiens. C’est toi que je remercie pour la fragile consolation enveloppée de ton sourire.

Pour la bravoure de tes éclats de rire. Pour la gaîté qui affleure ton regard, et qui me fait sourire moi aussi, vois.

Pour l’espoir au milieu de mes larmes.

 

Gyuka Illyès, Paris, Éditions Pierre-Seghers, 1966, p. 9, 145s. Collection Poètes d’aujourd’hui, 145.

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