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Un jour, Ronald Després a chanté le vent

La tour de Pise redressée après le passage du vent

Qui donc a osé, dans les pays français d’Amérique, chanter le vent. Je vous le demande. Georges Dor (1931-2001), originaire de Drummonville, auteur, compositeur, dramaturge, chanteur, poète, l’a fait et bien réussi. Mais d’autres ?

Il y a aussi l’Acadien Ronald Després, musicien, poète et traducteur né à Moncton, au Nouveau-Brunswick, en 1935. Et il le fait de bien belle manière lui-même.

Les frocs du vent

Monsieur le Vent est entré en religion !

Depuis des siècles, il transformait les peupliers d’Italie en colonnes torses et faisait danser les couvercles des poubelles dans les rues.

Le soir, il aidait la lune à faire son nid dans les brindilles des châtaigniers. Qui ne l’a vu conduire l’orage par la main ou zigzaguer, avec les ombres, à la porte des dormeurs ?

Il avait une façon à lui d’offrir ses parfums à tout le monde et de caresser avec des murmures longs comme des bras !

Ça l’a pris comme ça, en coup de vent. Il, n’a même pas jugé à propos d’aviser les prophètes. À force de semer l’angélus aux quatre coins du globe, on finit par prendre une certaine tournure d’esprit…

La tour de Pise s’est brusquement redressée et les gratte-ciel n’osent plus bouger d’un doigt.

Nous, nous sommes très malheureux, car nous espérions voir un jour s’effondrer les clôtures et les masques. Désormais, il n’y aura personne pour brouiller le paysage ou transporter le chant des tourterelles. Les montagnes et les parterres ne valent guère plus que des momies vertes. La mer cristallise des nuages que le ciel a mis en conserve, pour toujours…

On parle de rayer les tempêtes de sable chez Larousse & Cie.

Dans les salons, si vous avez le malheur de causer mistral, poudrerie, ou marins dévorés par les cyclones, les hommes vous furètent sous leurs lorgnons et les femmes relèvent un nez dédaigneux.

— C’est qu’il n’est pas tout à fait à la page, ma chère.

Le vieux monastère qui l’a recueilli gonfle ses verrières sous des rafales de dévotion.

Monsieur le Vent houspille sa mante noire qui menace de s’envoler. Il souffle ses Ave avec tant d’ardeur que la communauté a peine à se tenir debout, cependant que les cierges disent adieu à leurs lumignons.

Les moines traînent les pieds sur les dalles de la sacristie, hochant la tête et grommelant tous une même oraison.

Il ne manquait plus que celui-là.

La cérémonie terminée, monsieur le Vent longe les couloirs sombres et regagne sa cellule. Mais les grilles de fer résisteront-elles longtemps aux secousses d’une telle prière ?

 

Ronald Després, Paysages en contrebande… à la frontière du songe, Choix de poèmes (1956-1972), Moncton, Éditions d’Acadie, 1974, p. 116s.

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