Il s’en vient du grand monde en poésie au Québec
Rose Éliceiry, née à Québec en 1985, est déjà là. Avez-vous jeté un œil sur son deuxième recueil, Là où fuit le monde en lumière ? Voici, pour vous la faire connaître.
je n’ai plus assez d’âge pour te dire que je t’aime
comme on arrache un pissenlit
pour le voir refleurir dans le secret des mains
je n’ai pas la finesse de croire à l’impossible
je t’attends dans les failles
derrière la buée des fenêtres
avec mes bottes d’enfants qui dessinent des camions
* * *
on a dévoré la lune et ses restes
léché ses dernières plaies
il reste si peu dans chacun des regards
qu’une fracture ouverte
une grande déchirure à remplir de bruit
Toi, tu connais les arbres par leurs noms
tu soignes les oiseaux dans des boîtes à chaussures
* * *
on a déjà avalé tout l’orage
il nous reste quoi pour saouler maintenant
j’ai la bouche creuse, la tête désaffectée
vouloir recommencer
à coups de masse, à coups de pied
se dire qu’on changerait le monde à défoncer le décor
si on avait la technique
si on avait le courage
* * *
j’aurais voulu un peu de temps pour connaître les oiseaux
leurs rêves, leurs trajectoires
goûter la lumière entre les branches
comme on fait l’équation des jours
dans le syndrome des villes
j’ai fait l’inventaire de la faim
il m’en reste pour mille ans à observer le monde tomber
dans mes mains agrandies comme des réceptacles
* * *
on ira dimanche soir boire du vin blanc au parc
manger des sandwichs au jambon
se raconter tout ce qu’on a perdu et finir un peu saouls
dans le prolongement du monde
on ira fabriquer des ruelles à même les trottoirs
oublier ce qu’on a perdu
et s’endormir l’un sur l’autre
dans le prolongement du monde
Rose Éliceiry, Là où fuit la monde en lumière, Montréal, Les Éditions de l’Écrou, 2017.