Un astrophysicien bouddhiste
En 1990, le mathématicien français Jacques Vauthier avait un long entretien avec Thuan Trinh Xuan. Cette rencontre fut d’abord l’objet d’un livre chez Beauchesne-Fayard en 1992, mise en poche trois ans plus tard chez Flammarion.
Trinh Xuan est de foi bouddhiste et fit ses études au California Institute of Technology (Caltech) et à l’université de Princeton. À la fin de l’entrevue, Vauthier lui demande s’il est tenté de basculer du côté scientifique ou du côté bouddhique, « plutôt du côté du réel, ou plutôt du côté de la chimère ». Et Trinh Xuan de lui répondre :
Bouddha n’a pas dit que le monde n’est qu’une chimère dans le sens où vous l’entendez, c’est-à-dire que les choses sont vides de leur être propre, que le réel n’est qu’un enveloppement de la pensée. Quand il parlait du caractère illusoire des choses, il voulait souligner leur impermanence, leur changement, leur évolution plutôt que leur irréalité. Ce concept d’évolution et de changement est tout à fait compatible avec celui dont parle la cosmologie contemporaine : non seulement l’univers a acquis une histoire, mais tout ce qu’il contient change et évolue en permanence : les étoiles tout comme les êtres humains naissent, vivent leurs vies et meurent, dans des cycles successifs.
Je suis scientifique, donc je ne peux que basculer du côté du réel ! Mon activité d’astronome n’aurait aucun sens si je croyais vraiment que tout ce que j’observe au télescope n’est que chimère, que le monde n’est qu’un songe, comme l’a dit si joliment Shakespeare. Non, je crois fermement que l’univers , les étoiles, les galaxies ont une réalité tangible, indépendante de moi, qui ne sont pas uniquement le pur produit de mes pensées et de mon imagination.
Cette réalité, je peux l’observer, l’analyser et la disséquer afin de découvrir les lois qui la régissent. Bien sûr, je ne parle que du réel qui est accessible à nos instruments de mesure comme le microscope ou le télescope. Certaines personnes, comme le physicien français Bernard d’Espagnat, parlent d’un réel voilé, inaccessible encore à nos instruments, mais dont l’existence doit être postulée, pour expliquer certains comportements des atomes.
La science et la religion sont deux manières totalement distinctes d’appréhender le monde. La religion relève de la foi qui est subjective, tandis que la science repose sur le rationnel, sur des vérifications expérimentales rigoureuses et objectives. En tant que scientifique, s’il y a conflit entre la description du monde donnée par le bouddhisme et celle de la science, je choisirais cette dernière.
Tring Xuan Thuan, Entretiens avec un astrophysicien, par Jacques Vauthier, Paris, Éditions Flammarion, Champs science, 1995, p. 140s.