S’adressant à son amour, le poète breton Guillevic (1907-1997) joue avec la langue française
Suppose
Que la lune apparaisse
Quand nous ne voulons pas
Et que je te demande
De tout accepter d’elle
Pour qu’elle aille sa route
Et nous laisse à nous-mêmes
Suppose
Que ce soit le rocher
Qui frappe à notre porte
Et que je te demande
De le laisser entrer
Si c’est pour nous conter
Le temps d’avant le temps
Suppose
Que la nuit ait envie
De te prendre pour reine
Et que je te demande
De lui faire accepter
Qu’elle ait à se venger
Sur moi de ton refus
Suppose
Que l’horloge s’arrête
En éclatant de rire
Et que je te demande
De lui dire que rien
N’est changé pour cela
À ce que fait le temps
Suppose
Que tout à coup le mur
S’effondre devant nous
Et que je te demande
De croire que c’est lui
Qui a voulu répondre
À notre vœu secret
Suppose
Que je n’ai rien à faire
Que d’attendre la nuit
Et que je te demande
De vouloir qu’elle arrive
Avec tout le retard
Que l’on peut mettre à vivre
Suppose
Que nous soyons devant
La bougie allumée
Et que je te demande
Si tu comprends pourquoi
Nous en avons besoin
Pour nous réinventer
Suppose
Que je sois fatigué
D’avoir trop travaillé
Et que je te demande
De te pencher sur moi
De regarder ailleurs
Et d’ouvrir ton corsage
Guillevic, Étier suivi de Autres, Paris, Gallimard nrf, 1979 et 1980, 368 pages.
Suppose
que la poésie apparaisse
qu’elle te demande de la laisser entrer
et de lui dire
qu’elle a tout changé
Suppose
qu’elle te réponde
que nous en avons besoin
que son plus grand secret
c’est qu’elle nous aide à vivre
quand elle ouvre son corsage
Merci de partager ce si beau poème ! Celui de Guillevic évidemment !
J’aime beaucoup Guillevic, toujours surprenant.