Voilà ce cher Albert Lozeau (1878-1924) à nouveau dans le journal
Je le répète, je l’aime beaucoup. Il n’y a bien une vingtaine de billets sur ce site où apparaît un de ses textes ou il est mentionné. C’est lui qui a imaginé cette belle formule : Le calme d’une ville est fait de bruit calmé.
Le voici ici sur le thème de l’attente.
L’attente (*)
Mon cœur est maintenant ouvert comme une porte ;
Il vous attend, ma Bien-Aimée, y viendrez-vous ?
Que vous veniez demain ou plus tard, que m’importe ?
Le jour, lointain ou proche, en sera-t-il moins doux ?…
Ce n’est point un vain mal que celui de l’attente ;
Il conserve nouveau le plus ancien désir.
L’inattendu bonheur dont la venue enchante
Passe ; à peine en a-t-on su goûter le plaisir.
Et l’on s’en va criant l’inanité des choses,
Pour ne s’être jamais aux choses préparé :
Insensé qui repousse un frais bouquet de roses,
Accusant le parfum qu’il n’a pas respiré.
Une heure seulement de pure jouissance,
Pourvu que dieu m’accorde un quart de siècle entier
De rêve intérieur et de jeune espérance,
Pour méditer sur elle et pour l’étudier,
Pour ordonner l’instant et régler la seconde,
Pour que rien ne se perde et que tout soit joui
Jusqu’à la moindre miette, et que le temps du monde
S’envole, n’emportant que de l’évanoui !
Une heure suffira. J’aurai vécu ma vie.
Aussi pleine qu’un fleuve au large de son cours,
L’ayant d’une heure mieux que de jours fous emplie ;
D’une heure, essence et fruit substantiel des jours.
Mon cœur est maintenant ouvert comme une porte.
Il vous attend, ma Bien-Aimée, y viendrez-vous ?
Que vous veniez demain ou plus tard, il n’importe !
Mon attente d’amour fera de telle sorte
Que mon lointain bonheur en deviendra plus doux.
Albert Lozeau.
(*) Extrait de « L’Âme solitaire », qui paraîtra en avril prochain.
La Patrie (Montréal), 16 mars 1907.