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« Les femmes peuvent-elles fumer ? »

Question palpitante d’intérêt et tout à fait d’actualité, non seulement au salon mais à la frontière, où les douaniers peu galants refusent aux femmes le joli privilège de passer, pour leur consommation personnelle, quelques cigarettes.

Encore, si c’était des cigares ! ou du tabac à priser… nous comprendrions volontiers l’indignation de ces braves gens. De si vilaines choses gâteraient les plus jolies lèvres, et l’on a toujours peine à voir profaner de belles œuvres d’art, mais une cigarette ! ces serpentins de fils blonds soigneusement enroulés de papier, ce gentil rien, mince, léger, qui glisse si bien sous les doigts menus, qui est prétexte à de jolis gestes, qui fait valoir adorablement la main blanche et mêle les ongles rosés, polis comme des agates, pourquoi le honnir ?

Ah ! la crânerie charmante de sa désinvolture, le piquant de son audace, quand elle ose marquer d’un rubis flamboyant la figure rieuse ! Comme elle l’éclaire et fait bien valoir le dessin de la bouche, la blancheur des dents, comme elle est gentille, pimpante, discrète, la cigarette ! Elle est parfois rêveuse et mélancolique aussi, avec ses spirales de fumée bleue qui tournent, tournent pour s’envoler avant de disparaître à jamais.

L’âme se prend à suivre ces volutes, et quelle griserie est celle de cette atmosphère légèrement embrumée, où tout devient imprécis, où les contours des choses vous apparaissent moins brutaux et plus poétiques à la manière d’un Rembrandt ou d’un Carrière.

Vous voyez à quoi conduit la cigarette ? À de très poétiques et de très artistiques ressouvenances, à des rêveries aussi qui ont bien leur douceur et qui, par les pluvieuses journées d’hiver, ajoutent leur charme à celui déjà si prenant du home.

Car là seulement c’est permis ; bien entendu, il ne viendrait à l’idée d’aucune femme, je suppose de fumer une cigarette hors de chez elle, non point qu’il y ait faute en ceci, certes non, et, à vrai dire, c’est plutôt une affaire de convention qu’autre chose, mais il est des salons où ce n’est point admis, d’autres et des plus sélects où cela est toléré en petit comité.

Est-ce un mal ? Sans compter le bridge que l’on oublie pendant ce temps-là…

 

La Patrie (Montréal), 27 février 1909.

Le quotidien montréalais mentionne que ce texte provient du journal L’Éclair, quotidien du midi de la France, qui avait pignon sur rue à Montpellier et est paru de 1881 à 1944.

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