Le ras-le-bol de Joseph-Édouard Caron
La presse d’hier, comme celle d’aujourd’hui, avait ses qualités.
Assurément, entre autres, permettre à un quidam de chanter pouilles à une compagnie qui prend les citoyens pour des sofas.
Hier, nous assistions à une nouvelle dérive du traversier Pilot entre Québec et Lévis. Joseph-Édouard Caron en a assez, il écrit au Soleil.
M. le rédacteur,
Tous les journaux de ce soir nous entretiennent des désagréments subis la nuit dernière par les personnes de Lévis, qui se sont embarquées sur le « Pilot » après le concert.
Pour la quatrième fois, je crois, depuis 15 jours, ce bateau n’a pu résister à la pression des glaces et est allé chaque fois se promener à la dérive, avec sa cargaison humaine, à trois milles en bas de Québec, s’accrochant où il pouvait, et débarquait les passagers à travers les glaces du rivage, où chacun courait la chance de se geler ou de se casser le cou.
J’ai déjà dit publiquement que le service donné par cette compagnie était un outrage et une disgrâce. C’est de plus un danger public, et ce qui vient de se passer est suffisant pour le démontrer.
La compagnie, par son contrat, est tenue d’avoir des bateaux d’une force proportionnée aux difficultés de la traversée, surtout en hiver. Il est évident que pour résister aux glaces et aux courants, il faudrait des bateaux de 500 chevaux-vapeur, en certains temps.
Eh bien, le « Pilot » n’en a que 75, paraît-il.
Le « Queen » et le « Polaris » sont un peu plus forts, sans cependant avoir toute la force nécessaire. Néanmoins, ils ont mieux résisté aux éléments, et ont évité à leurs passagers les dangers auxquels ont été exposés ceux du « Pilot ».
Ce qui prouve qu’avec des bateaux d’une force raisonnable, il serait facile d’avoir un service régulier, en tout temps de l’hiver. […]
Attends-t-on, pour porter remède à cet état de choses, qu’il y ait un désastre ?
N’est-il pas du devoir du Conseil de ville de Québec de contraindre la compagnie à se procurer des bateaux d’une force suffisante, pour protéger la vie des passagers, au moins ? […]
Je sais qu’on va encore trouver des gens qui vont vous parler du « bon vouloir » de la compagnie et que celle-ci fera encore publier dans les journaux, après chaque excursion de sa patache, de petites entrevues avec un monsieur quelconque, qui, pour détourner l’attention, vantera les agréments et le plaisir de ce qu’il appellera une petite excursion à travers les glaces, pendant laquelle on joue aux cartes, on chante, ou on fait des farces. Mais ces excursions pourraient fort bien mal tourner et finir en cortège funèbre, un jour, si on ne met pas la compagnie à la raison.
Croit-on, par exemple, que si la compagnie avait eu le moindre souci du public, qu’elle aurait risqué la vie d’une centaine de passagers dans le « Pilot », hier soir, quand elle savait pertinemment que la faiblesse de ce bateau le rendait dangereux, la nuit, au milieu de la tempête et que, de plus, le « Polaris » et la « Queen », plus solides, étaient tranquillement attachés à leurs quais ?
La Chambre de Commerce de Québec a confirmé dernièrement , d’une manière non équivoque, les plaintes déjà formulées contre la Compagnie de la Traverse.
La question se posait alors sur la partie matérielle du service.
La question vitale maintenant en jeu est infiniment plus importante et exige, à mon sens, une intervention immédiate des autorités, et j’espère que celles-ci feront leur devoir.
Jos.-Ed. Caron.
Le Soleil (Québec), 7 février 1908.
Ce Joseph-Édouard Caron pourrait être ce cultivateur, fonctionnaire et homme politique né à Saint-Roch-des-Aulnaies (1866-1930).