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Nous sommes mieux d’attendre encore un peu avant de mourir

C’est ce que je disais à mon ami Jean. Car depuis quelques années, très peu d’années, nous sommes à procéder une toute nouvelle lecture de la vie. Ça se voit, ça se lit partout. Et nos traités sur lesquels nous nous appuyons depuis un moment, sur les bêtes, les oiseaux, les plantes et nous-mêmes, par exemple, seront complètement périmés très bientôt, bons pour le recyclage ou pour l’histoire (du genre voyez ce que nous pensions). Prenez Néandertal, il ne se passe pas un mois sans qu’une nouvelle vienne enrichir notre savoir à son sujet.

Attendre un peu avant de mourir, car nous échapperions beaucoup de moments de nous réjouir. Voyez ce livre, par exemple, paru en américain, chez Penguin Press en 2016, puis en français chez Marabout en 2017. L’auteur Jennifer Ackerman, collaboratrice du Scientific American, du National Geographic Magazine, du New York Times et autres, explore, dit-on, l’énigme de la place de l’humanité dans le monde naturel. Ce livre-ci sur les oiseaux contient 36 pages de notes, un gage de sérieux. Voici quelques-unes de ses lignes sur la Mésange à tête noire (1).

La mésange n’est pas seulement un oiseau agile et plein d’entrain. Elle est également vive intellectuellement, curieuse, opportuniste et dotée d’une mémoire remarquable : « En tant qu’oiseau, c’est un chef-d’œuvre, au-delà de toute louange, selon les mots d’Edward Forbush [Natural History of the Birds of Eastern and Central North America, 1955, 347]. Sur l’échelle de QI de Louis Lefebvre [éthologue, professeur de biologie à l’Université McGill], les mésanges, toutes espèces confondues, font jeu égal avec les pics.

Dernièrement, les légers sifflements et les gazouillis des mésanges ont été identifiés par des scientifiques comme l’un des systèmes de communication les plus sophistiqués et les plus rigoureux parmi les espèces animales terrestres. Chris Templeton et ses collègues ont ainsi constaté que leur chant est un langage complet, doté d’une syntaxe permettant de générer un nombre illimité de séquences uniques. Certaines servent à énoncer la position de l’oiseau ; d’autres, à informer sur une source de nourriture savoureuse ; d’autres encore préviennent de la présence d’un prédateur en spécifiant la nature de l’animal et l’ampleur de la menace. Un sifflement doux en haute fréquence ou un trille aigu signalent un danger dans les airs, comme une pie-grièche ou un épervier, tandis qu’une séquence plus saccadée indique un prédateur immobile, tel un rapace perché à la cime d’un arbre, ou avertit que la silhouette d’un petit duc maculé se profile.

Le nombre de notes dans la séquence précise la taille du prédateur et donc le degré du péril ; plus elles sont nombreuses, plus le prédateur est petit, c’est-à-dire dangereux. Cela peut sembler contre-intuitif, mais les petits prédateurs sont agiles et peuvent manœuvrer plus facilement que les gros, plus lourds et plus lents. […] Les vocalisations des mésanges sont si fiables que d’autres espèces tiennent compte de leurs avertissements.

Sachant cela, la façon dont j’écoute désormais le chant de ces oiseaux tandis que je me promène dans les bois a changé : peut-être suis-je examinée, évaluée et jugée plus ou moins dangereuse.

Ou peut-être pas. Il n’est pas impossible que je sois au contraire rapidement identifiée comme un spécimen balourd, imposant mais inoffensif, et que ma présence cause à peine une légère ondulation dans leur conversation.

 

Jennifer Ackerman, Le Génie des Oiseaux, traduction de Patrice Salsa, Paris, Hachette Livre, Éditons Marabout, 2017, p. 62s.

(1) Si l’éditeur a mis sur la page couverture du livre une mésange européenne, la Mésange charbonnière, il l’a fait pour son public premier, son public européen. Mais l’auteure parle bien ici de la Mésange à tête noire, un oiseau d’Amérique du Nord, particulièrement présent dans l’est de l’Amérique.

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