Parfois la presse québécoise d’autrefois s’apparente étrangement à celle d’aujourd’hui
Peut-être à court de sujets, on fait du bruit, et on chauffe à blanc le public lecteur avec ce que nous appelons aujourd’hui de fausses nouvelles.
En 1889, dès la première semaine de décembre, les journaux québécois commencent à se demander s’il n’y a pas une épidémie de grippe en Europe, rapportant des cas dans certaines capitales. Bientôt, les nouvelles se répètent et on en vient à croire qu’il y aurait, en effet, une épidémie de grippe européenne.
Et les questions débutent. Dans quel port débarquera-t-elle ? New York ? Boston ? Serons-nous frappés ? Bref, la presse entretient la crainte. Et voici que le 31 décembre, à quelques heures du Jour de l’an, un quotidien montréalais sent peut-être le besoin de calmer les angoisses ?
Le doux temps que nous avons eu samedi et dimanche dernier semble avoir réglé la question de la grippe.
L’opinion d’un grand nombre de médecins est que la maladie est à Montréal, et que la seule chance d’y échapper est une période de grands froids. La température a été si changeante depuis quelque temps que beaucoup de personnes souffrant de rhumes ordinaires ou du coriza se sont imaginé qu’elles étaient attaquées de la grippe.
Le docteur Finnie dit qu’il avait cinq cas de grippe sous ses soins, mais il ne croit pas que ce soit des cas épidémiques.
Au bureau de santé, trois cas ont été rapportés au Dr Laberge. Ce dernier dit qu’il n’a pas demandé aux médecins de faire rapport ; il ne croit pas que la maladie soit contagieuse. Les précautions seraient inutiles.
Il est inutile de nier le fait que plusieurs personnes soient attaquées de la grippe. Cependant, on est porté à croire que la maladie est plutôt imaginaire que réelle.
Le Dr Brosseau n’a pas un seul cas de grippe parmi sa nombreuse clientèle. Il y a beaucoup de forts rhumes, dit-il, et des affections cathariales qui sortent de l’ordinaire, mais je ne crois pas que ça soit la grippe. La peur qu’on semble éprouver en certains quartiers est irraisonnée et n’a aucune raison d’être,
Le Dr Piché n’a pas constaté de cas de grippe dans sa clientèle.
Un médecin distingué de Montréal dit qu’il donnera $50 à la personne qui prouvera un cas de grippe authentique dans la ville.
Le docteur [Jean-Philippe] Rottot est d’opinion qu’il n’y a pas un seul cas de grippe caractérisée à la ville. Il dit que les gens ont tort de s’alarmer.
Jusqu’à présent, il n’y a que les médecins anglais qui ont constaté des cas d’influenza. C’est à croire que la maladie ne s’attaque qu’à eux.
La Patrie (Montréal), 31 décembre 1889.