Noël, par Louis Fréchette (Premier de deux billets)
L’écrivain Louis Fréchette (1839-1908) y est allé, un jour, d’un texte sur la Noël. Le voici. Il s’agit, bien sûr, de la Noël de son époque et non d’aujourd’hui.
Reste-t-il encore quelque chose à dire ou à écrire sur la fête de Noël, la fête des petits enfants, la fête de la famille, la plus touchante des fêtes chrétiennes.
Non peut-être.
Les poètes l’ont chantée.
Les historiens ont raconté son passage à travers les siècles.
Le peuple en a consacré les traditions dans ses contes et ses légendes.
La grande voix des orateurs sacrés en a exalté les mystères et publié les gloires.
N’importe !
De même que ces chants à la fois simples et solennels, attendrissants et grandioses, dont la mélodie ne lasse jamais l’oreille, Noël est un de ces sujets inépuisables qu’on peut ressasser à l’infini sans fatiguer jamais.
Quand il s’agit de Noël, les redites mêmes ont pour le lecteur le charme d’un refrain tout plein de réminiscences intimes, comme ces vieux parfums oubliés dans le fond d’un tiroir aux souvenirs.
Noël nous sera toujours cher, car il nous tient par les sentiments et les croyances ;
Par les tendresses et les enthousiasmes ;
Par le cœur et l’esprit.
C’est pour nous la prière et la poésie enveloppées toutes deux dans une même auréole radieuse et caressante.
Disons donc un mot de cette fête antique, toujours nouvelle et toujours jeune.
L’institution en remonte au berceau de l’église d’Occident.
Elle fut célébrée pour la première fois, suivant certains auteurs, par Saint-Télesphore en l’an 138. Ce fut le pape Jules 1er, dont le règne dura de 337 à 352, qui, après avoir consulté les docteurs de l’Orient et de l’Occident sur le véritable jour de la nativité du Sauveur, en fixa définitivement la célébration au 25 décembre, bien qu’il n’y ait rien dans les évangiles qui indique positivement ce jour-là comme celui du grand événement.
De fête purement religieuse, Noël devint, dans le moyen âge, une fête tout populaire.
C’était le signal des réjouissances, des assemblées joyeuses, des fiançailles.
Le crèche de l’Enfant-Jésus devenait chaque année le théâtre de ces jeux scéniques appelés mystères, et que les troubadours et les trouvères organisaient en l’honneur de la sainte Famille.
Plus tard, malheureusement, ces fêtes dégénérèrent en bouffonneries grotesques peu en harmonie avec la circonstance. C’est en Espagne que ces coutumes profanes persistèrent plus longtemps.
En France, on y substitua la messe de minuit. La messe de minuit, touchante solennité que, durant de longs mois d’attente, les petits enfants entrevoient dans leurs rêves comme une ouverture de paradis.
Mystérieuse cérémonie dont les vieillards mêmes ne peuvent voir le retour annuel, sans écouter chanter au fond de leur cœur comme un écho lointain des douces émotions de l’enfance !
Qui de nous, entrant dans une de nos églises pendant la nuit de Noël, peut, sans qu’une larme lui monte du cœur aux paupières, entendre flotter sous les voûtes sonores, avec la puissante rumeur des orgues, ces chants si beaux de simplicité et de grâce naïve, que nous ont transmis ces génies inconnus à qui l’art chrétienne doit tant de chefs-d’œuvre ?
Adeste fideles ! cette invocation si large de rythme en même temps que si gracieuse de forme !
Nouvelle agréable ! cette mélodie pleine d’entrain, si bien dans la joviale de nos pères !
Dans cette étable, ce cantique dont la majesté nous courbe le front malgré nous devant le grand mystère chrétien !
Les anges dans nos campagnes, cet hosanna triomphal si vibrant de confiance, d’allégresse et d’amour !
Et enfin, le premier de tous, le plus ému et le plus populaire de nos noëls : Ça bergers, assemblons-nous.
La suite : demain.
Le Franco-Canadien (Saint-Jean-d’Iberville), 29 décembre 1892.