Skip to content

« Le monde invisible »

En 1883, au Théâtre des Menus-Plaisirs, au 14, boulevard de Strasbourg, à Paris, on propose une représentation étonnante : l’infiniment petit, inconnu, projeté sur un immense rideau blanc « tendu à l’entrée de la scène ».

Cela n’est pas un contre-sens. Un instrument d’optique fait apparaître à nos yeux des objets qui étaient pour eux absolument invisibles.

Ce qui n’était qu’une goutte d’eau devient un monde démesuré, où des armées de monstres géants se livrent des batailles formidables, s’entre-dévorant et s’exterminant.

L’instrument d’optique est un microscope grossissant à un nombre de fois tel qu’une fine aiguille paraît avoir plus de trois mètres d’épaisseur. […] Pendant chacune des projections, un monsieur placé sur la scène, au bas du rideau, donne quelques renseignements sur l’objet soumis aux spectateurs.

Quatre-vingt tableaux environ sont ainsi présentés dans un ordre subdivisé en quatre séries. La première offre la vie végétale et minérale. […] Viennent ensuite formant la 2e série, les vingt tableaux du monde des insectes, par fragments, aile, patte, etc., pour la plupart ; car pour une mouche entière, par exemple, le rideau de théâtre n’offrirait pas assez de surface. […]

La troisième série est consacrée à l’anatomie : fragments de lèvres, de peau humaine, blanche, noire ; de poumon, de cœur, de foie, d’œil ; cheveu sain, cheveu malade, parcelle de cervelle, décomposition d’aliments dans l’estomac, fournissant les tableaux. […]

La quatrième série débute par quelques menues curiosités : celles du corail, celles des plumes, des écailles de sardines, des fils d’araignée, de soie, devenus câbles d’un mètre de diamètre dans lesquels on distingue des milliers ou des millions de fils. C’est énorme, mais innocent. Attendez ! voici les trichines. On avait jusque-là, dans la salle, poussé de petites exclamations de surprise riante. On commence à frissonner devant ces serpents colosses habitant des miettes de jambon. […]

On ouvre le gaz, un « Ah ! » de soulagement monte de tous les rangs des spectateurs, comme un réveil d’un rêve tragique.

 

Le Canadien (Québec), 28 novembre 1883.

L’illustration provient de la revue française La Nature, tome 16, 1881, p. 165.

No comments yet

Publier un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Vous pouvez utiliser des balises HTML de base dans votre commentaire.

S'abonner aux commentaires via RSS