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Décidément, notre poète trouve difficile la venue de l’automne 1884

Déjà, hier, il était tristounet, le voilà maintenant franchement nostalgique. D’abord, il s’adresse au fleuve.

Et toi, grand Saint-Laurent, tes ondes aussi ne sont plus les mêmes. Elles roulent tristement vers des rivages désertés des bruyants ébats qui les animèrent pendant les beaux jours ; elles ne portent plus les joyeuses promenades de la jeunesse amoureuse des plaisirs ; elles n’ont plus le bleu limpide qui reflétait la nue ardente ; le soleil ne les réchauffe plus des mêmes rayons ; elles frissonnent sous des vents pleins de froidure, et leur azur éclatant est remplacé par les couleurs mornes dont les teint un ciel dépouillé de ses feux et rempli de son deuil.

Trois mois seulement, et c’est tout. Mais quels mois ! O transports, ô ivresses de la vie ! Est-il rien comme de passer trois mois sur les bords du grand fleuve, bien loin, bien loin de la ville, là où ses flots salés, couvrant un espace de dix lieues entre les deux rives, jettent dans l’air toute espèce de senteurs vivifiantes qui renouvellent l’âme et le corps, insufflant dans l’être tout entier des sentiments et une force inconnus, et relèvent vers les grands objets la pensée fatiguée de la scène puérile du monde, du vain mouvement des hommes et de leurs misérables disputes ?

Ah ! délicieuses soirées de juillet et d’août, piques niques champêtres, danses sur l’herbe, excursions aux îles ou aux lacs lointains, courses à deux dans ces lieux discrets que le plaisir dédaigne et que recherche l’amour, longues promenades sur les grèves toujours retentissantes de mille échos épars, rêveries profondes et suaves dans les lieux solitaires, petits voyages improvisés, remplis d’épisodes réjouissants et de charmants imprévus, causeries prolongées au clair de la lune, sous une brise tiède et embaumée, il faut donc vous dire adieu et pour toute une longue année encore !

Eh bien ! oui, adieu, adieu pour toujours, été de 1884, tu n’es plus maintenant qu’un souvenir et nos cœurs portent ton deuil, comme la nature entière à laquelle vient t’arracher le silencieux et inexorable automne.

Arthur Buies.

 

La Patrie (Montréal). 13 octobre 1884.

La photographie de la citadelle vue de la terrasse à Québec, prise vers 1875 par Louis-Prudent Vallée, est déposée à la Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Québec, Fonds ministère de la Culture et des Communications, Les grands inventaires nationaux, Album Paul Gouin, cote : E6,S8,SS6,P457.

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