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Un écrivain et journaliste anglais explique que l’Angleterre ne fut toujours présente en Indes que pour elle-même

William Digby (1849-1904) publie en 1901 Prosperous British India — A Revelation from Officiel Records. Deux ans plus tard, un quotidien montréalais en fait sa une.

Un discours fort éclairant sur les manières de l’Empire anglais dans un pays qui devient sa colonie.

M. Digby commence par réfuter les idées fausses et préconçues qu’on entretient dans son pays relativement aux choses de l’Inde, dont les Anglais sont généralement si ignorants. Il distingue l’« Anglostan » et l’« Hindustan ». L’Anglostan, ce sont les villes européanisées, colonies anglo-saxonnes établies dans l’Inde, actives et riches, les seules que les voyageurs visitent ordinairement ; mais, derrière cet écran brillant, il y a l’Inde réelle, l’Inde immense, silencieuse et souffrante. C’est elle qu’on ne connait pas ou qu’on ne veut pas connaître, c’est elle pourtant qui a fait la richesse des Anglais.

Et M. Digby retrace l’histoire de la domination britannique. Il la montre au début, purement commerciale, organisant un pillage imprévoyant. Ce sont les trésors arrachés à l’Inde qui ont fourni à l’Angleterre le premier capital sans lequel celle-ci n’aurait pu prendre l’essor économique qui a fait, au XIXème siècle, sa prospérité. Puis vint une période d’asservissement systématisé. L’Inde, soumise, fut traitée avec une dureté injustifiée qui détruisit en elle tout ressort propre et réduisit le peuple à un état inférieur et règne maintenant sur une population avilie par la misère et l’ignorance.

Mais, parmi les causes de cette déchéance, n’y en a-t-il pas qui tiennent à des conditions géographiques, climatériques et surtout ethnographiques ? Non, pour M. Digby elles sont toutes imputables à la politique de l’Angleterre et son livre est en entier consacré à le démontrer. Exemples : les industries indigènes ont presque toutes disparues, le pays est appauvri, parce que les commerçants anglais, craignant la concurrence des produits indiens et voulant, au contraire, un marché qui absorbât indéfiniment les leurs, on a agi, suivant leurs étroits préjugés comme si les indigènes eussent dû être des consommateurs d’autant plus « avantageux » qu’ils eussent manqué de plus de choses.

Les Indiens sont refoulés dans les situations inférieures, leur voix est méprisée, ils sont exclus de toute participation, de tout rôle un peu élevé dans l’administration de leur pays. De sorte que l’Inde est devenu la terre « des gros traitements et des grosses pensions » comptés à des Anglais qui vont les dépenser en Europe. Les cultures, les industries rémunératrices sont aux mains étrangères, le paysan possède à peine le champ sur lequel il vit et dont il partage avec le fisc le maigre produit ; il manque de tout et l’usurier est devenu le maître du pays. L’Indes est aujourd’hui dans une situation inférieure à celle qu’elle occupait encore il y a cent ans, sa richesse propre est épuisée, et, à l’aube du XXe siècle, elle se trouve sans « working capital ».

On ne s’étonnera pas que la famine devienne endémique. Selon M. Digby, les disettes étaient rares autrefois ; du XIème au XIXème siècle, il en relève à peine une moyenne de trois par siècle. À partir de 1800, elles deviennent de plus en plus nombreuses et de plus en plus étendues. Au cours des 25 dernières années, il en compte « dix-huit », parmi lesquelles les quatre plus terribles que l’Inde ait connues jusqu’ici, Et cela malgré les chemins de fer, les canaux d’irrigation, les distributions de grains ! C’est que la famine actuelle est surtout la « famine d’argent ». L’extrême pauvreté du peuple est le véritable fléau. […]

Quant à la cause profonde de cette grande misère, elle est elle-même dans le régime économique auquel l’Inde est soumis depuis plus d’un siècle. C’est le « drainage » continu qui entraîne au dehors tout le capital du pays, sans retour, sans compensation d’aucune sorte. Toute tentative de relèvement ne pourra avoir d’effet si cette déperdition constante n’est pas enrayée.

En outre, l’Angleterre impose à l’Inde « pour sa défense » l’entretien d’une nombreuses et très coûteuse armée et d’une marine de guerre dont elle lui fait payer intégralement tous les frais et qu’elle emploie pour des expéditions plus ou moins lointaines dans lesquelles l’intérêt « impérial » est seul engagé. Les dépenses militaires forment plus d’un tiers des dépenses nettes du budget indien.

 

Le Canada (Montréal), 5 octobre 1903.

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