Les bouts de papier de Georges Perros

Le poète et écrivain français Georges Perros (1923-1978) ne voulait rien échapper, avait la manie des bouts de papier. Tout lui était bon, dit-il : bouts de papier justement, tickets de métro, boîtes d’allumettes, pages de livre… Ces mots échappés feront d’ailleurs l’objet de sa première publication, en 1960.

Voyez quelques avancées.

On n’écoute pas les femmes gracieuses, les femmes dignes de ce nom. Mais tandis qu’elles parlent, on admire le mouvement de leurs épaules, de leurs cils, de leurs paupières, de leurs lèvres. Le charme essentiel de la femme consiste à faire passer ce qu’elle dit après ce qui émane d’elle. Qui s’en plaindrait ?

Il y a dans toute grande compréhension une part d’incompréhension gracieuse qui fait sauter l’intelligence.

Regarder le ciel est reposant. Sans y mêler je ne sais quelque croyance — qu’il soit vide ou divinement habité m’indiffère — le dressement de buste en direction des plages de cette étendue apparemment sans fond, décharge l’homme d’un malaise, le rend fleur ou arbre, simplement. Combien de fois, au cours d’une conversation fastidieuse de prévu, n’ai-je pas été chercher l’oxygène, au bout d’un soupir dans ce ciel qui est sans doute avec soi-même, la seule chose partout présente. J’écris, et il suffit d’un simple regard vers la fenêtre encombrée de lierre pour que ma solitude s’identifie, épouse l’immensité qui est à ma portée.

Le premier homme qui a pensé au suicide a humilié la vie pour l’éternité.

Connaître l’homme, c’est cesser de se plaindre d’en être un.

Le comble du pessimisme : croire en Dieu.

Debussy a composé toute sa musique assis dans un aquarium.

Les sots mettent du temps pour comprendre. Les intelligents pour ne pas comprendre.

On ne fait taire le silence qu’en parlant moins fort que lui.

D’être lucide console l’homme sensible.

Euphorie. Elle rend possibles ses absences.

Georges Perros, Papiers collés, Éditions Gallimard, 1960.