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Êtes-vous de celle qui avez eu un amant, une amante qui vous a comblée de mots d’amour ?

Si oui, vous auriez longtemps échangé avec Mathilde Urrutia.

Le poète chilien Pablo Neruda a connu un amour fou, une soprano mexicaine, Mathilde Urrutia. Incapable de lui décrocher la lune, il lui a fait cadeau de 100 poèmes. Il lui écrit qu’ils lui ont quand même « coûté grand’peine et grand’douleur ». Cependant il ajoute immédiatement : « mais la joie de te les offrir est plus ample qu’une prairie ».

En voici deux :

 

J’ai faim de tes cheveux, de ta voix, de ta bouche,

sans manger je vais par les rues, et je me tais,

sans le soutien du pain, et dès l’aube hors de moi

je cherche dans le jour le bruit d’eau de tes pas.

 

Je suis affamé de ton rire de cascade,

et de tes mains couleur de grenier furieux,

oui, j’ai faim de la pâle pierre de tes ongles,

je veux manger ta peau comme une amande intacte,

 

et le rayon détruit au feu de ta beauté,

je veux manger le nez maître du fier visage,

je veux manger l’ombre fugace de tes cils,

 

j’ai faim, je vais, je viens, flairant le crépuscule

et je te cherche, et je cherche ton cœur brûlant

comme un puma dans le désert de Quitratue.

 

* * *

 

Je ne t’aime pas telle une rose de sel,

topaze, œillets en flèche et propageant le feu :

comme on aime de certaines choses obscures,

c’est entre l’ombre et l’âme, en secret, que je t’aime.

 

Je t’aime comme la plante qui ne fleurit,

qui porte en soi, cachée, la clarté de ses fleurs,

et grâce à ton amour vit obscur en mon corps

le parfum rassemblé qui monta de la terre.

 

Je t’aime sans savoir comment, ni quand, ni d’où,

je t’aime sans détour, sans orgueil, sans problèmes :

je t’aime ainsi, je ne sais aimer autrement,

 

je t’aime ainsi, sans que je sois, sans que tu sois,

si près que ta main sur ma poitrine est à moi,

et si près que tes yeux se ferment quand je dors.

 

Pablo Nerruda, La Centaine d’amour, Paris, Poésie/Gallimard nrf, 1995.

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