Mon cher ami Paul est parti
Avec toute sa tête, mais un vieux corps qui le lâchait. Nous étions plusieurs suspendus à ce moment fatidique. Hier soir, à 23 heures, je dormais. Le téléphone a sonné trois fois et la personne n’a pas laissé de message. « Paul est mort » que je me suis dit.
Nous fûmes très proches du début de mars à la fin d’octobre 1973. Il avait lu mon récit historique des émeutes de Québec, Québec sous la Loi des mesures de guerre 1918, publié en 1971 au Boréal, et se disait qu’il y avait là une histoire incroyable à traduire au théâtre. Un membre du conseil d’administration du Trident, Gilles Lachance, nous mit en lien.
« Avez-vous copie de l’enquête du coroner suite à la mort des quatre Québécois qui furent tués le 1er avril 1918 ? Je voudrais m’asseoir avec vous et faire une pièce de théâtre. » Je lui ai répondu : « Je n’ose pas accepter, je n’ai jamais touché au théâtre. Adaptez mon récit, l’éditeur passera entente avec vous. » « Non, non, je ne veux pas adapter votre récit, je voudrais adapter au théâtre l’enquête du coroner et j’ai besoin de vous. »
Commencèrent alors de nombreuses heures, de nombreux jours à travailler chez lui, au centre de l’île d’Orléans. Parfois quelqu’un passait le saluer. Gerry Paris, François De Patie et sa belle amoureuse Marie en robe paysanne. Paul les accueillait avec joie, mais ne pouvait consacrer beaucoup de temps à ces visites. Nous devions travailler comme des fous. Et perfectionniste comme il était, il voulait résumer en trois heures les trois jours de la tenue de l’enquête à Québec. Parfois, il voulait reprendre vingt fois une phrase, voyant qu’une nuance dans le propos d’un témoin nous avait échappé. Une page était-elle terminée qu’Huguette Charest, qui travaillera par la suite à la production, la mettait au propre.
Et, chemin faisant, il échappait des noms de comédiens et comédiennes qui lui venaient. « Un tel ou une telle peut-être, d’autres non. » Nous sommes arrivés à 32 personnages et figurants. Un jour, il m’a proposé le titre de la pièce. « Regarde, Jean, ce serait comme le début d’une lettre : Québec, Printemps 1918 ». Tout était trouvé.
J’aimais particulièrement ces moments où il préparait un petit souper, la soirée avancée, tout en me racontant ses années de théâtre en Europe de 1949 à 1952. Je questionnais pour obtenir des précisions et je me taisais. Parfois, il y allait d’une tirade théâtrale sortie de je ne sais d’où. Nous nous amusions, bien sûr, aussi. Et nous avons toujours gardé souvenir de ces grands moments ensemble.
Et tout n’était pas terminé. Il me demanda d’être présent en septembre à la lecture à voix haute par chaque comédien choisi, assis autour d’une grande table, dans un local côte de la Montagne, des textes attribués à chacun. Il souhaitait que je prenne part à la discussion et que je donne mon impression du ton qu’adoptait chacun. Surjouaient-ils ? Étaient-ils crédibles ?
Et vint la première au théâtre du Trident, salle Octave-Crémazie, au tout début d’octobre 1973. La pièce ouvrait la saison. Résultat : trois heures et demie sans entracte, de 20 heures à 23 heures 30. Et comme me dit ce cher Aubert Pallascio, un des personnages importants : « On entendait voler les mouches ». Sauf que Paul et moi faisant le même constat, celui-ci me demande : « Es-tu libre demain avant-midi, il faut couper de 20 à 30 minutes, c’est trop long. »
Et la pièce sera la plus populaire du théâtre du Trident dans la saison 1973-1974 avec 86% des sièges occupés. Puis filera son chemin. Montée en téléthéâtre par Jean-Paul Fugère à la télé de Radio-Canada en 1975. Prix Annick attribué au meilleur documentaire historique des réseaux anglais et français de Radio-Canada. Traduite en anglais par l’Américain Leo Skir et publiée dans la Canadian Theatre Review de l’Université York en Ontario, automne 1980. Jouée à Québec en décembre 1982 à l’auditorium du cégep F.-X. Garneau par la troupe amateure La Compagnie de la Limonade Rose, une mise en scène de Christine Perreault. Jouée à plusieurs reprises en 1999 par la troupe amateure Le Théâtre en ville de L’Assomption, à L’Oasis du Vieux Palais et au théâtre Hector-Charland, puis au Palais Montcalm à Québec, une mise en scène de Jacques Cadieux.
Salut, cher Paul. Merci, merci beaucoup.
La photographie de Paul Hébert apparaît sur le site du théâtre du Trident.
Les trois photographies datant de la présentation en 1973 au théâtre du Trident sont de « Photo : Luc Audet. André Paillé ». Sur la première, Lionel Villeneuve témoigne (derrière lui, Roland Bédard incarnait le chef de police de Québec Émile Trudel) et on voit à droite le coroner Yves Massicotte. Puis Claude Préfontaine qui jouait le rôle d’Armand Lavergne. Aubert Pallascio, lui, interprétait le rôle du major Barclay.
Au sujet de Paul, voir le billet magnifique de Laurent Lapierre, cofondateur du Trident en 1970 avec Paul, dans le quotidien Le Devoir, édition du 22-23 avril 2017. Laurent administrait et Paul créait. Et ils s’aimaient. Paul m’en parlait.
Bonjour Jean Provencher,
Mes sympathies,
Sandra Lamoureux du Trident m’a fait parvenir ton témoignage.
(vous permettez que je te tutoies?…).
Je cours à la Bibliothèque chercher cette oeuvre que vous avez concoctée à l’Île, tous les deux, ce cher Paul Hébert et toi.
Il est trop tard maintenant pour mettre cette pièce à l’affiche du Trident pour la prochaine saison.
Mais je trouve que cette pièce devrait ouvrir la saison du trident à l’automne 2018.
Cent ans après les événements décrits.
En hommage à Paul Hébert qui a partagé avec toi la création de cette oeuvre.
Un procès au théâtre est toujours un spectacle passionnant.
Je t’invite donc à mettre les bouchées doubles pour offrir ta pièce à la direction du Trident dès maintenant.
Il y a beaucoup de personnages je pense, ce pourrait être une co-prod avec le TNM ou Duceppe…
Si cela se peut, je suis prêt à jouer dans ta pièce, sans lunettes, sans canne, sans perdième et sans peur!
Guy Thauvette
Bonne chance!
Merci, cher Guy, merci infiniment.
Ce serait un merveilleux projet.
J’espère que tu te portes à merveille, cher.
À très bientôt.
À Québec ou à Montréal.