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À nouveau un poème échappé dans les colonnes d’un journal

Et souvent, il faut le noter, si ces textes ne sont pas à l’eau bénite, ils ont pour thème la nature ou l’amour.

Ici, Nérée Beauchemin, le poète de Yamachiche, près de Trois-Rivières, fait l’éloge d’avril. Et du rossignol.

 

 

 

AVRIL

Est-ce l’avril ? Sur la colline,

Rossignole une voix câline,

De l’aube au soir.

Est-ce le chant de la linotte ?

Est-ce une flûte, Est-ce la note,

Du Merle noir ?

 

Malgré la brume et la grêle,

Le virtuose à la voix frêle

Chante toujours,

Et sur mille tons recommence

La mélancolique romance

De ses amours.

 

Le chanteur, retour des Florides,

Du clair azur des ciels torrides,

Se souvenant

Dans les bras des hêtres en larmes,

Dit ses regrets et ses alarmes

À tout venant.

 

Surpris dans son vol par la neige,

Il redoute encore le cortège

Des noirs autans ;

Et sa molle chanson touchante,

Soupire et jase, pleure et chante

En même temps.

 

Fuyez, nuages, giboulées,

Grêle, brouillards, après gelées

Vent boréal.

Fuyez ! La nature t’implore

Tardive et languissante aurore

De Floréal !

 

Aux reflets d’un ciel d’améthyste,

Au demi-jour, au charme triste

Des bois déserts,

Un rythme nouveau s’harmonise :

Doux rossignol, ta plainte exquise

Charme les airs.

 

Parfois, de sa voix la plus claire,

L’oiseau dont le chant s’accélère,

Égrène un trille :

Dans ce vif éclat d’allégresse,

C’est vous qu’il rappelle et qu’il presse,

Beaux jours d’avril ?

 

Déjà collines et vallées

Ont vu se fondre aux soleillées,

Neige et glaçons,

Et quand midi flambe, il s’élève

Des senteurs de gomme et de mélèze

Dans les buissons,

 

Quel souffle a mis ces teintes douces

Aux pointes des frileuses pousses ?

Quel sylphe peint

De ce charmant vers véronèze

Les jeunes bourgeons du mélèze

Et du sapin ?

 

Sous les haleines réchauffées

Qui nous apportent ces bouffées

D’air moite et doux,

Il nous semble que tout renaisse.

On sent comme un flot de jeunesse

Couler en nous.

 

Tout était mort dans les futaies :

Voici, tout à coup, dans les haies,

Dans les sillons,

Du soleil, des oiseaux, des brises,

Plein le ciel, plein les forêts grises,

Plein les vallons.

 

Ce n’est plus une voix timide

Qui prélude dans l’air humide,

Sous les taillis,

C’est une aubade universelle;

On dirait que l’azur ruisselle

De gazouillis.

 

Devant ce renouveau des choses,

Je rêve des idylles roses.

Je vous revois,

Fraîches saisons, blondes années,

D’aurore et d’avril couronnées

Comme autrefois.

 

Et tandis que dans les clairières

Gazouillent les voix printanières,

En moi j’entends

Rossignoler la voix meurtrie,

La tant douce voix attendrie

De mes printemps.

 

Nérée Beauchemin.

 

Le Courrier de Saint-Jean (Saint-Jean-sur-Richelieu), 15 avril 1898.

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