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Nous devons tellement à la Grèce ancienne

Elle a joué un rôle capital dans l’histoire du monde, bien davantage d’ailleurs que les Romains. On s’y réfère encore constamment. En 1958, l’universitaire, historien du droit et égyptologue belge Jacques Pirenne termine ainsi — formidable réflexion — l’édition revue et corrigée de son pavé Civilisations antiques (Paris, Albin Michel) :

Non seulement les Ioniens avaient acquis au VIe siècle cet individualisme, que les Égyptiens et les Babyloniens des villes pratiquaient depuis plus de vingt siècles, mais le commerce lointain leur donnait une tendance à l’initiative, à la hardiesse, à la création qui devaient se retrouver dans les œuvres de leurs philosophes, de leurs écrivains et de leurs artistes.

Ainsi mis directement en contact avec les peuples étrangers les plus civilisés de leur temps, ils étaient non seulement capables d’assimiler leurs conceptions religieuses, scientifiques et artistiques, mais aussi d’échapper à leur emprise.

Les Milésiens [de la ville de Milet] n’ont pas seulement appris des Babyloniens et des Égyptiens leurs connaissances et leurs croyances, ils les ont « repensées », avec une étonnante liberté et un souci de chercher la vérité qui constitue leur apport le plus considérable de la civilisation antique. Les Grecs eux-mêmes se sont rendu compte d’ailleurs de ce rôle qu’ils ont joué de « rénovateurs » de la pensée orientale. « Tout ce que nous autres Grecs, nous empruntons aux Barbares, dit l’auteur du dialogue platonicien, nous le transformons pour en faire quelque chose de plus beau. »

Et c’est ainsi qu’ils ont transformé l’empirisme en une méthode scientifique, et qu’ils ont soumis les idées religieuses à l’examen de la raison, ce qui leur a permis de construire les premiers systèmes philosophiques.

C’est surtout sur le plan philosophique que les Milésiens ont été des novateurs. D’emblée ils ont tiré des théologies égyptiennes et asiatiques les conclusions simples que les Orientaux avaient préparées et pressenties sans arriver à les dégager. Thalès, en commerçant hardi, en spéculateur avisé, qui abandonne la pratique des affaires pour fonder une école philosophique et former des disciples, jette les bases de la pensée grecque en formulant quelques principes élémentaires. Des cosmologies chaldéennes il dégage l’idée du principe initial de la matière, de la théologie égyptienne, celui de la dualité de la matière et de l’esprit et celui du panthéisme monothéiste, dont Anaximène tirera, inspiré par l’idée du ka égyptien, une morale mise en concordance avec un système de l’univers ; tandis qu’Anaximandre, en introduisant dans l’astronomie le souci d’une explication rationnelle, et en scrutant les croyances égyptiennes sur le chaos primitif, apprend aux hommes à concevoir l’infini.

Et dès lors les idées de l’Égypte et de la Chaldée, qui depuis des siècles n’arrivaient plus à sortir des cercles de l’empirisme et de la théologie dans lesquels elles s’étaient formées, vont prendre un essor nouveau. La Grèce brise le carcan d’archaïsme qui tenait enfermée la pensée orientale ; elle la dépouille du fatras symbolique sous lequel elle étouffait ; elle lui enlève ses caractères spécifiquement nationaux et, en substituant à des conceptions grandioses mais confuses, des idées simples et cohérentes, elle leur donne brusquement la valeur universelle que les plus grands esprits de l’antiquité — je pense avant tous autres à Aménophis IV — avaient en vain cherché à faire triompher.

 

Jacques Pirenne, Civilisations antiques, Paris, Éditions Albin Michel, 1958, p. 485s.

Il faut comprendre, selon Pirenne, que les Grecs ont redémarré la pensée qui était en panne.

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