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Au printemps, à la fin du 19e siècle et au début du 20e, à Montréal, on s’inquiète du comportement du fleuve Saint-Laurent

Quelles seront ses humeurs ?

Et on se rappelle la grande inondation de 1886.

Cette année-là, tous les quartiers du bas de la ville furent envahis par l’eau. Pendant six à huit jours, tous les édifices du quartier des affaires purent mirer leurs façades dans des lacs d’une profondeur de plusieurs pieds. La rue Notre-Dame, la rue Craig dans toute sa longueur disparurent sous les eaux troubles du fleuve.

Il va de soi que tout trafic fut interrompu pendant ce temps. Le Grand-Tronc dut suspendre son service.

De vieux Montréalais ont conservé, de ces heures humides, d’aimables souvenirs.

Au Griffintown [quartier ouvrier du sud-ouest de Montréal], par exemple, il fallait aller faire ses visites en canot. Les boulangers, les bouchers, les épiciers faisaient leurs tournées en de grosses chaloupes. On se serait cru à Venise, mais cela coûtait un peu plus cher. De fait, pendant une semaine, le prix des provisions fit comme le niveau du fleuve, il monta.

Comme les ménagères économes, les amoureux eurent lieu de se désespérer. Le service postal était interrompu et les tendresses manuscrites ne purent aller des « caballeros » aux princesses lointaines et vice-versa. Plus de journaux non plus. On ignorait au Griffintown ce qui se passait dans le reste du monde. Le quatrième jour seulement, telle la colombe de l’arche, un « newsboy » parut dans une chaloupe et on s’arracha ses gazettes.

Sur la rue Hôtel-de-Ville, alors rue des Allemands, sur la rue Cadieux, les meubles flottaient dans les salles à manger et les cuisines des maisons avoisinant la salle d’exercices.

Les hardis navigateurs qui croisaient sur les rues Craig et St-Jacques, entre les rues Bleury et St-Martin, rencontraient mille objets hétéroclites, flottant au gré des brises, tables, chaises, caisses, barils, etc. Sur des radeaux innombrables, les enfants des écoles jouaient aux naufragés de la Méduse. L’eau avait une profondeur moyenne de trois pieds [environ un mètre] et on pouvait faire sans trop d’encombre de petits voyages d’un mille et demi.

Le Saint-Laurent est un fleuve paisible et régulier. Ce n’est pas un fleuve à inondations comme le Mississipi ou l’Ohio. Pour qu’il déborde, il faut un hiver exceptionnellement rigoureux et abondant en neiges suivi d’un dégel accompagné de pluies. […]

Ce qui tempère dans une large mesure la violence du fleuve au printemps, ce sont les lacs : lac St-Pierre, lac St-François qui reçoivent dans leurs larges bassins le trop plein des eaux et atténuent l’effort du courant.

 

Le Canada (Montréal), 2 avril 1904.

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