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En 1903, la bibliothèque publique de Montréal, pas encore ouverte, et sur le point de disparaître ?

Alors que le philanthrope américain Andrew Carnegie (1835-1919) propose aux Montréalais d’y aller de ses propres deniers pour l’ouverture d’une bibliothèque publique, un échevin refuse son offre.

Nous avons rencontré M. Chaussé à l’hôtel de ville, hier, et nous l’avons interviewé.

« Ainsi donc, monsieur Chaussé, il est parfaitement vrai que vous avez l’intention de balancer pour longtemps tous les projets de bibliothèque, sans respect pour la grande ire des bibliophiles, bibliomanes, bibliographes, bibliothécaires — candidats perpétuellement et autres candidats embibliothéqués dans la susdite et imaginaire bibliothèque, après s’être au préalable bibliothécairement garni le cervelet d’une sainte horreur des bibliophages ? » […]

« Écoutez. Je suis pertinemment en état d’affirmer que la très grande majorité de la population ne veut pas de la bibliothèque et sachez bien qu’un grand changement va se produire chez les échevins. Ne faites pas des yeux de « pigeon hole », c’est comme ça. Bien plus, je dis qu’on n’a pas tout vu quand on a accepté cette bibliothèque ; on s’est laissé éblouir. On ne s’est pas imaginé qu’avant deux ou trois ans, elle nous coûterait un demi-million. Nous voulons avoir une bibliothèque alors que la police de Montréal est insuffisante ! Alors que nous sommes volés, assommés, assassiné ; alors que les domiciles ne sont pas suffisamment protégés ! Alors que la caisse municipale n’est pas assez riche pour se payer ce luxe. […]

Un large geste souligna ses paroles.

« Ce n’est pas tout, reprit M. Chaussé. Nos rues sont dans un état déplorable, notre population mixte ne s’accordera jamais au sujet du choix des livres, nous avons besoin d’agrandir notre marché Bonsecours et nous ne trouvons pas l’argent nécessaire. Non, nous ne pouvons décidément pas nous mettre un tel fardeau sur les épaules. »

Le représentant du « Canada » resta confondu. Il se retira « tout quinaud et moult esplouré », comme aurait dit feu Rabelais., — tandis qu’un pleur perlait au coin de sa paupière, sur le sort de cette malheureuse bibliothèque tuée presque, avant que d’avoir vu le jour.

 

Le Canada (Montréal), 7 avril 1903.

Au cours des sept jours qui suivent, le journal ne revient pas sur ces propos de Chaussé, à qui on a peut-être conseillé de se taire. Qui sait.

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