Viendra un temps, et très bientôt c’est certain, où nous ne pourrons plus supporter les bruits de toutes sortes, les multiples bruits de l’information. Pour notre santé
On a beau s’en prendre à la cigarette, au sucre, au diabète, à la cuisine rapide, à l’embonpoint, à l’hypertension, et quoi encore qui écourtent nos vies. Mais bientôt on découvrira qu’il y a plus grave. Les bruits. Et que plusieurs d’entre nous en seront affectés. Certains le sont déjà d’ailleurs.
Voyez l’abondance et le traitement des meilleures chaînes-télé sur les élections américaines pendant une année et demie. Qu’a donc donné la fidélité que nous avons mise à suivre ces chaînes quotidiennement ? Tout à fait rien. Sinon davantage augmenter le bruit.
Nous sommes à tourner à vide. On nous propose les modèles d’un réel complètement égaré, sans origine ni réalité. Un réel complètement vide du réel.
Bientôt, il y aura des campagnes en faveur du silence, de la paix du jour et du soir.
Mon fils me dit : « Dans tes périples, si tu trouves l’ouvrage de Jean Baudrillard, Simulacres et simulation, je suis preneur. » Je l’ai trouvé. Qu’est-ce que ce livre peut bien cacher ?
Dans son huitième chapitre, par exemple. […] — L’implosion du sens dans les média — Baudrillard écrit :
Nous sommes dans un univers où il y a de plus en plus d’information, et de moins en moins de sens. […]
Partout la socialisation se mesure par l’exposition aux messages médiatiques. Est désocialisé, ou virtuellement asocial celui qui est sous-exposé aux media. Partout l’information est censée produire une circulation accélérée du sens, une plus-value de sens homologue à celle, économique, qui provient de la rotation accélérée du capital. L’information est donnée comme créatrice de communication, et même si le gaspillage est énorme, un consensus général veut qu’il y ait cependant au total un excédent de sens, qui se redistribue dans tous les interstices du social — tout comme un consensus veut que la production matérielle, malgré ses dysfonctionnements et ses irrationalités, débouche quand même sur un plus de richesse et de finalité sociale.
Nous sommes tous complices de ce mythe. C’est l’alpha et l’oméga de notre modernité, sans lesquels la crédibilité de notre organisation sociale s’effondrerait. Or, le fait est qu’elle s’effondre, et pour cette raison même. Car là où nous pensons que l’information produit du sens, c’est l’inverse.
L’information dévore ses propres contenus. Elle dévore la communication et le social. […] Au lieu de faire communiquer, elle s’épuise dans la mise en scène de la communication. Au lieu de produire du sens, elle s’épuise dans la mise en scène du sens. Gigantesque processus de simulation que nous reconnaissons bien. L’interview non directif, la parole, les téléphones d’auditeurs, la participation tous azimuts, le chantage à la parole : « Vous êtes concernés, c’est vous l’événement, etc. » De plus en plus, l’information est envahie par cette sorte de contenu fantôme, de greffe homéopathique, de rêve éveillé de la communication.
Agencement circulaire où on met en scène le désir de la salle, anti-théâtre de la communication, qui, comme on sait, n’est jamais que le recyclage en négatif de l’institution traditionnelle, le circuit intégré du négatif. Immenses énergies déployées pour tenir à bout de bras ce simulacre, pour éviter la désimulation brutale qui nous confronterait à l’évidente réalité d’une perte de radicale du sens.
[…]
Aujourd’hui même, je poste l’ouvrage à mon fils. Je lui ai dit : « Passe-le moi quand tu en auras terminé ».
Source : Jean Baudrillard, Simulacres et simulation, Paris, Éditions Galilée, 1981; p. 119-121.
Sur Baudrillard dix ans après sa mort, voir aussi ce papier de Frédéric Joignot du journal Le Monde à Paris.
Voilà qui me sert d’alerte, personnellement. J’ai récemment réalisé qu’il me fallait plusieurs fois par jour aller chercher les dernières infos télévisées. RDI serait devenu mon fournisseur de drogue ? Troublant.
Et Baudrillard écrit cela en 1981 !