Une première vraie neige à la mi-novembre à Montréal
Sainte-Catherine a des impatiences de vieille fille. Elle n’a pas attendu sa fête [le 25 novembre] pour nous envoyer sa traditionnelle bordée.
Un pied de neige [30cm] est tombé pendant la nuit et il continue d’en tomber ce matin en flocons drus et pesants qui se collent à tous les objets et en noient les contours dans leur blancheur imprécise.
La ville paraît décontenancée par cette arrivée subite de l’hiver et présente un aspect complètement étrange. Le léger pardessus d’automne qui se hâte frileusement, son collet relevé, coudoie le lourd paletot qui chemine lentement avec des attitudes de défi.
Les promeneuses matinales nous apparaissent toutes emmitouflées d’hermine, avec un petit nez rose qui se profile dans le geste de vouloir happer un flocon de neige. Celles qui n’ont pas de toilette à exhiber se cachent du mieux qu’elles peuvent derrière leur parapluie et ne laissent voir de leur personne qu’un bas de manteau et deux bottines enneigées.
Dans la rue, quelques sleighs passent, rapides, parmi les lourds camions à roues qui avancent en geignant. Aux stations de voitures de places [ce que nous appelons aujourd’hui les têtes de taxis], les berlines alternent aussi avec les fiacres roulants. Le voyageur donne la préférence à celles-là, tenté par l’attrait du premier tour de sleigh.
Les tramways ont l’air de songer qu’ils iraient aussi beaucoup plus vite avec des patins et, pendant qu’ils songent, immobiles, la balayeuse devant eux essaie de leur frayer un passage.
Parmi tout ce monde et toutes ces choses qui s’agitent péniblement, les constables gardent seuls un maintien impassible. Avec leurs énormes casques de fourrure, leur longue capote, leurs mitaines de cuir et leurs chaussures imperméables, ils sont bien dans leur rôle et donnent l’exemple de la vertu du moment : le confort.
Quel contraste avec les pauvres petits facteurs en veste courte et en casquettes de toile cirée qui courent de porte en porte, leur énorme paquet de lettres sous le bras. Personne ne les plaint; on pestera contre eux, peut-être, en recevant une carte postale toute barbouillée par la neige et où l’initiale de l’ami s’affale dans l’encre diluée.
Chemin faisant, dans leur course au croquis et aux nouvelles, l’artiste et le reporter de la Patrie sont frappés par l’air minable que présente la statue de la reine Victoria dans cette neige froide qui l’enveloppe de partout. La pauvre femme est bien mal protégée contre le froid par cette robe d’apparat qui la drape de la tête au pied, mais ne la vêtit pas beaucoup. Pauvre reine ! un parapluie lui serait plus utile que le sceptre qu’elle tient à la main et elle échangerait bien volontiers sa couronne impériale pour le joli chapeau de velours de cette jeune fille qui passe au-dessous d’elle dans la rue.
«O néant des grandeurs humaines» s’exclamerait M. Prudhomme.
Dans tous ces paysages où l’hiver met sa robe triste, il n’y a de joyeux que Bébé, là-bas, qui étrenne sa première tuque.
La Patrie (Montréal), 16 novembre 1906.