Foutus jours de fête !
On me reproche de ne pas aimer le progrès. C’est une erreur. Je l’aime beaucoup. Il m’amuse énormément.
Pour n’en citer qu’un exemple. Y a-t-il rien de plus drôle que nos jours de fête ? Nos pères, dans leur coupable ignorance, croyaient que ces jours devaient être consacrés aux plaisirs. Ce n’est nullement ainsi qu’il le faut entendre.
Les jours de fête sont les jours où l’on est privé de tout. On ne vous apporte plus vos lettres ni vos journaux, ou l’on vous les apporte avec un fort retard; si vous avez besoin de quoi que ce soit, vous ne le trouvez nulle part; impossible non seulement de vous passer une fantaisie, mais de vous procurer un bouton pour soutenir votre culotte; il y a eu dans le monde des inventions commodes : ces jours-là, elles ne fonctionnent plus. Faire la fête, c’est revenir à l’état barbare : la civilisation s’arrête tout soudain. Il n’est rien de plus plaisant.
Cette façon de comprendre la fête était autrefois le privilège de l’Angleterre qui, ainsi qu’on sait, a toujours marché en tête du progrès. À cette époque-là, les Français se tenaient les côtes et écrivaient des récits de voyage, où ils se moquaient agréablement de leurs voisins. Remarquez ceci en passant : toutes les fois que nous nous moquons de quelque chose, vous pouvez parier hardiment que nous ne tarderons pas à l’imiter.
Aujourd’hui c’est fait. Si Le Huron de Voltaire revenait nous visiter, vraisemblablement il lui arriverait de nous dire :
— Qu’est-ce que vous faites les jours où vous vous amusez ?
— Nous nous embêtons.
— Et cela vous réjouit ?
— On ne peut pas dire que cela nous réjouisse; mais puisque ce sont des jours fériés, on ne peut pas avoir toutes les commodités des jours ordinaires.
— Je comprends qu’il y ait des jours comme cela; mais pourquoi leur donnez-vous un qualificatif aussi singulier ? Il serait, me semble-t-il, plus logique de les appeler jours de peine
— Cela n’est pas possible, puisque c’est la fête. On se repose.
— De quoi ?
— D’avoir eu tout ce qu’il nous fallait. Ces jours-là, nous manquons de tout. Vous n’avez pas idée comme cela nous soulage.
La Patrie (Montréal), 19 juin 1909.