«A-t-on le droit de regarder une femme ?»
Une question très importante, il est vrai, provoque en ce moment des polémiques soutenues dans les journaux anglais. On y discute sur le droit qu’ont les hommes de regarder les femmes. Beau sujet de polémique assurément.
La cause occasionnelle a été fournie par un incident survenu en Angleterre, mais les conséquences qui en peuvent dériver sont évidemment mondiales. Voici le fait :
Un monsieur, voyageant avec sa femme dans un train allant de Londres à Manchester s’irrita de ce qu’un compagnon de voyage fixât sa femme par trois fois consécutives à de brefs intervalles.
Au troisième regard, le mari lança un coup de point formidable en pleine figure de son compagnon de voyage, prétendant qu’il n’est pas permis de regarder une femme en face avec une certaine insistance plus d’une fois.
Ce coup de poing provoqua des explications au cours desquelles le compagnon de voyage déclara qu’il avait regardé la dame parce qu’elle était belle et sympathique. Il ajouta qu’il croyait avoir le droit de l’admirer tant qu’il lui plairait, sans pour cela faire aucun tort à qui que ce soit.
Le mari soutint qu’on pouvait tolérer à l’admiration un regard, deux au plus, mais que trois c’était décidément trop et dépassait les limites de la tolérance maritale.
Il ne fut pas possible d’arriver à une entente, c’est pourquoi les deux voyageurs ont posé la question suivante aux tribunaux :
«Est-il permis de regarder en face une femme avec insistance et de la regarder de cette manière plus d’une fois ?»
En attendant l’opinion des magistrats, les journaux discutent la question, car le jugement n’est pas rendu encore. Et, dans la presse, on ne s’entend pas plus que les deux voyageurs. Certains journaux soutiennent que deux regards suffisent, même sont de trop; d’autres proclament le principe du «regard libre en pays libre».
La Patrie (Montréal), 4 juin 1910.