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La corvée du déménagement

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En 1900, on répète dans la presse québécoise que «trois déménagements coûtent autant qu’un incendie» ou «trois déménagements valent un feu». Mais l’adage n’a pas d’effet; il est même permis de croire que les Québécois, du moins urbains, aiment le changement de logis. Et l’événement se produit autour du 1er mai.

Invariablement, cela fait la nouvelle.

Le déménagement ! perspective angoissante pour ceux qui ont des meubles et n’ont pas de maison.

La question de trouver la future résidence a déjà été comme un avant-goût de tout l’embêtement auquel se condamne le malheureux qui déménage. Pendant des semaines, la femme a parcouru tout un quartier, d’affiche en affiche, inspectant l’intérieur des domiciles, sous le regard ennuyé de la maîtresse du lieu. Quand elle a finalement jeté son dévolu sur un local toujours moins confortable que l’ancien, il lui reste l’ennui de penser qu’elle aurait pu, en se hâtant moins, faire un meilleur choix, et d’entendre son mari lui répéter tous les soirs, au dîner, que ce n’était pas la peine de déménager pour payer aussi cher de location.

Deux semaines avant le 1er mai, on commence déjà d’enlever les tapis et d’empaqueter tous les bibelots.

Dans l’intervalle, les occupants de la maison ne respireront que de la poussière et se heurteront à tous les meubles déplacés.

Cependant l’homme a d’avance conclu ses arrangements avec un charretier qui lui a promis de lui faire son déménagement à tel jour et à telle heure, pour tel prix.

Mais c’est par exception que la promesse sera tenue et cette sage précaution n’aura servi, en causant à son auteur une dangereuse quiétude, qu’à le mettre à la merci des entrepreneurs de déménagement auxquels il devra s’adresser à la dernière minute et on sait comme leur commerce est redoutable.

Le jour fatal se lève enfin. Pour l’heure, on ne peut la prévoir. Il faut prendre le charretier quand il daigne apparaître, à dix heures du soir comme à dix heures du matin. Surtout, ne le brusquez pas. Il est énervé et vous briserait «accidentellement» le morceau même que vous lui avez recommandé.

On entasse les meubles les uns sur les autres, sans souci des angles qui se brisent et des surfaces qui s’éraflent. La seule préoccupation est d’évacuer la place au plus vite, car d’un instant à l’autre les nouveaux locataires peuvent surgir avec leur propre bagage et il en résulterait une confusion à rendre tout le monde fou.

Un voyage, puis une autre voyage, quelquefois un troisième, et tout est enfin transporté dans la nouvelle maison. Ce n’est pas une mince besogne maintenant que de reconstituer un aménagement — même temporaire — avec toutes ces pièces d’ameublement qui gisent ça et là, désassorties. Si la tête d’une couchette est dans le salon, vous êtes sûr que le pied correspondant sera dans la salle à manger, et vous pourrez chercher les roulettes à la cuisine, dans un tas quelconque de petits objets.

On place tant bien que mal les principaux meubles, puis on se hâte de dresser les lits dans lesquels les enfants se jettent exténués, et où les parents n’iront les rejoindre que très tard, après avoir épuisé jusqu’au dernier souffle, ce qu’ils appellent leur «coup de cœur».

Quand ils se décident enfin à prendre le repos si bien mérité, ils ne manquent pas de se jurer une dernière fois, en s’endormant, que jamais plus on les reprendra à déménager.

Faudra les voir l’an prochain.

 

La Patrie (Montréal), 27 avril 1907.

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