Parfois, la débâcle est si violente qu’elle emporte avec elle une partie du pays
De toutes les débâcles printanières, la plus catastrophique fut celle de 1865. Le 12 avril. Bilan : 28 morts.
À Québec, dans le Saint-Laurent, on voyait passer des meubles, mais on n’a jamais aperçu le corps de ces enfants, femmes et hommes en allés.
Ils étaient disparus dans cette incroyable purgation. Le pays s’était vidé, même de certains des nôtres.
La seconde très grande débâcle est celle de 1896. Extraits.
Parlant des îles de Sorel, La Patrie du 21 avril écrit :
Les dernières dépêches venues de Ste Anne et du Chenal du Moine annoncent que les glaces sont bloquées dans les îles de Sorel et que l’eau monte encore. Des centaines de familles sans toit et sans abri ont trouvé un refuge dans l’église de Ste-Anne, où M. le curé Jeannotte leur prodigue ses meilleurs soins.
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Le Canada français, de Saint-Jean-sur-Richelieu, est plus loquace. Le phénomène est très étendu.
On signale de partout des dommages sérieux. Notamment à Sorel, Berthierville, St-Barthélemy et Ste-Anne de Sorel, Verchères, Varennes, où l’eau se répand à plusieurs milles à l’intérieur des terres.
Les gens ont été obligés de se rendre à pied à l’église dimanche dans maints endroits.
Voici les dépêches reçues de partout :
Grondines, Qué. — La glace s’est mise en mouvement et l’on a cessé de traverser. L’eau monte dans la partie supérieure de la paroisse qui est toute inondée. Le village de Ste-Anne de la Pérade est aussi inondé sur les deux rives et la plus grande détresse règne.
Ste-Anne de Bellevue. — La plus forte partie de la glace est descendue dimanche. Le fleuve est libre jusqu’à la baie Durphey [en fait, il s’agit de Baie-d’Urfé].
Beauharnois. — Le lac St-Louis est libre de glace. L’eau a tombé de deux pouces. Le «Filgate» doit faire son premier voyage samedi.
Trois-Rivières. — La rivière a monté de 13 pouces depuis hier et se trouve maintenant à 20 pieds au-dessus du niveau d’été. Plusieurs maisons dans la basse-ville flottent sur l’eau. Le pont de la rivière St-Maurice est dangereux et a été fermé. Tout le village de Ste-Angèle, en face d’ici, est sous l’eau et plusieurs maisons ont été emportées.
La glace du lac St-Pierre n’a pas bougé. Le St-Laurent est libre de glace d’ici jusqu’à Batiscan.
Sherbrooke. — L’eau continue à monter. John Yates, comptable, a voulu traverser sur la glace, en voiture, mercredi soir. Le malheureux et sa voiture ont été retrouvés aujourd’hui dans une tranchée donnant sur la rivière. Yates était père d’une nombreuse famille et bien connu dans notre région.
Baie St-Paul. — La glace sur la rivière du Gouffre se brise et bloque la rivière près du pont. Le village St-Joseph est inondé.
Québec. — La rivière St-Laurent à sept milles en amont de cette ville présente un aspect peu ordinaire. La glace bloque complètement le chenal à une profondeur de 30 pieds sous l’eau [près de 10 mètres] et les débris de toutes sortes sont accumulés sur la glace à une hauteur de 50 pieds. Toute la contrée est menacée d’inondation. […]
Sorel. — Un message téléphonique reçu de Ste-Anne [de Sorel] annonce que 24 maisons viennent d’être emportées à l’île de Grâce et à Ste-Anne.
L’eau monte toujours.
Yamaska. — Un parti de vingt hommes est descendu jusqu’à plusieurs milles en aval et a trouvé toutes les maisons emportées.
Tout le bétail est noyé.
On ne signale pas encore de pertes de vie.
Terrebonne. — Le pont vient d’être emporté.
Cap-Santé. — Notre pont sur la rivière Jacques-Cartier vient d’être emporté par la crue des eaux.
Grondines. — L’eau atteint une plus grande hauteur que lors de la désastreuse inondation de 1865.
L‘Étoile [un caboteur de Sainte-Croix de Lotbinière venu de la rive sud], qui était sorti de son chantier d’hiver et était amarré au quai, a été enlevé par la glace et transporté en plein champ, Il a été s’appuyer sur un gros arbre. Les dommages sont immenses.
On peut naviguer de l’église jusqu’à l’extrémité de la paroisse.
Baie St-Paul. — Le froid de la nuit dernière n’a pas fait baisser l’eau. La glace est amoncelée jusqu’à deux milles en haut du pont. On craint qu’il ne cède et que tout le village soit emporté. Les habitants sauvent ce qu’ils peuvent en chaloupe.
Tout le village St-Joseph est inondé; l’eau atteint jusqu’au toit de quelques maisons.
J’arrête ici, cela n’a de fin. Ça tient d’une litanie. À Saint-François de Montmagny, on écrit C’est une catastrophe terrible.
Le Canada français, 24 avril 1896.
Nous habitons un pays aux jours souvent bien calmes, mais capable aussi de grands excès à l’occasion.