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«Et ces yeux, on les cherche dans tous les autres yeux qui passent»

YeuxJacques Squire, je ne saurais vous le présenter ne le connaissant pas, croit qu’il n’y a pas de sots sujets.

Accompagnons-le, pourquoi pas, sur les yeux.

 

Les yeux de celles que nous aimons sont les plus beaux yeux du monde.

S’ils sont petits et qu’ils aient l’air moqueur, nous disons d’eux qu’ils pétillent de malice et d’esprit.

S’ils sont grands et profonds, nous les comparons à ceux des douces gazelles dont les regards sont semblables.

Les yeux bleus nous font songer à l’azur et à toutes les jolies fleurs de même nuance.

Les yeux noirs nous troublent pas l’intensité de leurs feux, et la caresse des yeux bruns nous fait rêver d’enveloppantes tendresses. […]

Les jolis yeux de nos petites amies sont de charmantes fenêtres dont les discrets rideaux sont les paupières soyeuses, frangées de longs cils.

Notre désir de savoir nous fait indiscrètement regarder par ces embrasures mignonnes, mais bien vite les paupières descendent, voilant l’expression que nous voulions surprendre, et nous aimons davantage ces yeux rebelles, dont la révolte pudique nous enchante et pique au vif notre curiosité. […]

Il est des yeux énigmatiques qui ne disent rien à l’observateur, ils sont troublants à cause de tout ce qu’ils sont supposés dissimuler de sensations rares.

Longtemps après les avoir vus, on y pense encore, avec un malaise presqu’inexplicable, fait peut-être du désir de les revoir, et du plaisir de ne pas les sentir peser sur soi.

Les yeux innocents des bébés, les yeux chercheurs des fillettes, les yeux pensifs des jeunes filles sentimentales, les yeux rieurs de celle qui voient l’avenir en rose, les yeux heureux des jeunes femmes aimées et les yeux mélancoliques qu’on ne regarde plus et qui pleurent de cet abandon, ont tous, pour celui qui sait les étudier, des charmes dissemblables, mais puissants.

Il est cependant des yeux plus attirants que tous ceux qu’on peut admirer tous les jours, ce sont les yeux de Celle que l’on ne fit qu’entrevoir, dont la teinte est imprécise, dont l’impression échappe au souvenir, dont on ne saurait dire s’ils étaient grands, petits, bleus, bruns ou noirs, mais qui marquèrent dans votre cœur une trace ineffaçable.

Ces yeux-là, on les aime, on les désire, on y pense avec une folle intensité, on les cherche dans tous les autres yeux qui passent, mais jamais on ne retrouve leurs regards qui vous donnèrent tant de bonheur, tant d’espoir, et tant de regrets d’être si vite parti.

Jacques Squire.

 

Le Bulletin (Montréal), 18 mars 1906.

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