N’ayez crainte pour le soleil… et pour nous
Dans la brume qui saturait l’atmosphère ce matin, le soleil paresseux s’est levé tard et rouge; même qu’on y distinguait parfaitement à l’œil nu un gros point noir, une tache. Ce phénomène intrigue plusieurs personnes qui, sans s’occuper d’astronomie, regardent parfois au-dessus de leur tête, afin d’élargir une seconde leurs horizons toujours obstrués par les «sky-scrapers».
Donc, si quelques âmes enfiévrées de mysticisme ou superstitieuses malgré le modernisme de nos idées courantes, allaient se massacrer le cerveau pour tirer des déductions pessimistes et alarmantes, il serait bon pour elles de lire ce qui suit, afin qu’elles puissent se convaincre que nous ne sommes aucunement menacés.
D’autres personnes nous ont demandé si la tache vue ce matin ne parvenait pas par hasard du passage de Vénus devant le grand calorifère. À ceux-là, nous pouvons répondre négativement, attendu que Vénus suit une trajectoire fixe, et que son dernier passage devant le soleil ayant eu lieu en 1882, le prochain ne doit avoir lieu qu’en 1996. Il y a donc du temps, et les gens pressés auront tout le loisir de se munir de verres fumés pour contempler cet important événement.
Mais il y a un fait bien certain : c’est que la tache était bien visible ce matin et que l’imagination n’y était pour rien.
Il est probable que si l’atmosphère eût été plus limpide, l’éclat éblouissant de l’astre nous eût empêché de la distinguer. […]
Il est difficile de dire quelles dimensions doit avoir une tache pour être visible à l’œil nu, mais il est généralement admis qu’une tache est invisible à moins que son diamètre ne présente un angle visuel d’au moins une minute.
Il est rare qu’une tache reste visible plus de 100 jours et nombre d’entre elles ne durent que quelques minutes. Ces taches sont supposées être cavités [sic] dans l’astre lui-même, causées par le déplacement de la matière en ignition.
Pour bien voir ces taches, il est important de se munir de verres fumés afin d’éviter l’aveuglement et l’éblouissement.
Peu de personnes attachent une influence quelconque à ces taches solaires sur notre vie planétaire. Cependant, certaines gens de la campagne prétendent après observation que plus les taches solaires sont nombreuses, plus c’est l’indice d’hivers rigoureux et de saisons humides.
Il n’y a donc pas lieu de croire à la fin du monde à cause de ce phénomène, et les âmes craintives et impressionnables peuvent dormir en paix.
Cet article fait la une de La Patrie (Montréal) du 1er février 1905.