Payer son dû avec un hibou
Mercredi matin, un paysan de L’Islet, qui devait un petit compte à un marchand de vins de Québec, se présentait au bureau de celui-ci avec un hibou de très forte taille, installé dans une cage un peu faible pour les griffes de l’oiseau de nuit.
Le marchand finit par accepter le hibou en règlement de compte et, le soir, laissa l’oiseau seul et à ses réflexions sur les vicissitudes humaines. Le lendemain matin, lorsque le marchand arriva à son bureau, il trouva les débris de la cage sur le plancher, et le bon hibou philosophiquement perché sur le coffre de sûreté avec un air de camier disposé à filer.
On rétablit la cage tant bien que mal. Mais il fallut aller chercher du secours pour réintégrer l’oiseau dans sa prison. Ça n’était pas chose facile. On invita Bordeleau, Honoré Bordeleau, dont on célébrait les noces d’or, il y a deux ou trois semaines; Bordeleau, un peu déconcerté, dit : «J’aimerais autant avoir une chicane avec ma belle-mère que d’aborder cet oiseau de proie-là.»
Tout de même, du moment que ça n’était pas sa belle-mère, il eut le courage d’aborder l’oiseau. Celui-ci, pas encore habitué à pareilles manipulations, enfonça ses griffes à travers le pardessus de fourrure de Bordeleau, et s’y cramponna avec une ténacité telle qu’il fallait plusieurs mains pour le décrocher de là.
Le hibou, une fois dans la cage, a été descendu à la cave de la maison, d’où il sortira pour reparaître empaillé ou vivant dans l’établissement de Laliberté ou Holt, Renfrew & Cie [deux grands magasins de Québec].
Ce hibou, capturé à L’Islet, mesure bien plus de deux pieds de hauteur. Il a les oreilles très développées. Bref, il est énorme.
La Patrie (Montréal), 23 décembre 1904.