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Se retrouver à causer devant l’âtre

Feu dans le poele deux

Entre la Noël et le Nouvel An, en attendant les cadeaux du Jour de l’An, celui qui signe Jean Nicolet sent le besoin d’une causerie, dit-il, un rappel qui célèbre «les jours heureux».

Amis lecteurs, quand la nature est en deuil et les oiseaux ont fui nos bocages, lorsque la plaine a dépouillé sa verte parure, il est bon d’aller causer devant l’âtre, qu’une main généreuse attise et fait pétiller.

Oh ! alors les charmants propos, les ris sardoniques. Les grands parleurs ont toujours leur tour, et, naturellement, c’est la grand-maman qui ouvre le bal. Bonnet sur tête, lunettes au front, le doigt coiffé d’un dé, elle raconte aux petits enfants des histoires de revenants, de loups garous, de charivaris, enfin de ces mille et une choses que l’on écoute, comme le dit François Coppée, avec l’air grave d’un enfant qui s’étonne trop jeune. Et vous croyez qu’elle leur cachera ses amours d’enfance ? Vous n’y êtes pas. Écoutez-la plutôt fredonner ce refrain si enjoué et si beau :

Je ne suis pas comme les oiseaux des champs,

Qui font l’amour en voltigeant.

Lorsque j’aime, j’aime, j’aime !

Et grand-papa donc ! De guerre lasse, déposant son brûlot sur la corniche de la cheminée, à lui maintenant de discourir. — «Tais-toi, vieille radoteuse» — ; car c’est ainsi qu’il interrompra sa chère moitié.

Foi de mon père, ça devient sérieux. Pour lui, le vieux diction : «Bon sang ne peut mentir». Des récits de combats homériques, sa tête en est pleine. Défilez devant lui les ombres chéries de Napoléon, avec son soleil d’Austerlitz, de Desaix, qui meurt au champ d’honneur à Marengo, d’Augereau, qui fauche à Iéna les uhlans ainsi que des épis de blé.

Puis, par une heureuse transition, il narrera l’héroïsme de Dollard, les fameux exploits d’Iberville, la glorieuse victoire de Carillon, l’histoire de Montcalm, de Lévis et de leurs braves soldats, séparés, comme l’a dit un écrivain estimé, de la France par l’océan et de l’esprit par Voltaire.

Sa petite épopée se terminera invariablement par cette sanglante apostrophe aux ennemis de 1812 :

Vous sentirez, cannibales,

Si la mort a des attraits.

Il parlera aussi des hercules canadiens : Gamache, Montferrand et Duhaime. Il connaît ce dernier, lui ayant tâté les muscles du bras gauche à Trois-Rivières.

Ces jeunes enfants, dont les soucis n’ont pas encore assombri l’âme, songent déjà aux étrennes du jour de l’an. Pour Jeanneton, c’est un cuirassier monté sur un superbe cheval qu’il faut. Quand à Jeannette, c’est une batterie de cuisine et deux poupées.

Puis miroiteront devant leurs yeux, à quelques mois de distance, les fêtes de la forêt. Ils entendent les éclats de rires qui partent des cabanes à sucre, la cornemuse qui appelle le père attardé au bois voisin. Ils savourent en esprit les «petites maisons» et les «cœurs» de sucre, les «cassots de tire», la «trempette», etc.

O jours heureux ! Ils sont à peu près disparus de nos foyers.

 

La Patrie (Montréal), 27 décembre 1902.

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