Il faut prendre la mer au plus tard le 26 novembre
C’est connu, la Sainte-Catherine, le 25 novembre, marque la fin de la navigation sur le Saint-Laurent pour les navires transocéaniques. Autrement, ils risquent d’avoir des problèmes dans les glaces.
Le 1er décembre 1903, le quotidien La Patrie rapporte cette nouvelle :
Le Wobin, un charbonnier qui était parti de Québec pour Sydney samedi [le 28 novembre] a été forcé de rebrousser chemin à St-Jean, Île d’Orléans, à cause de la glace. Il passera l’hiver dans le Bassin Louise.
Trois jours plus tard, le 4 décembre, le journal revient sur le sort de ce bateau qu’il appelle maintenant Wobum. Manifestement, on n’arrivait pas à se faire à l’idée de passer l’hiver dans le Bassin Louise. Et — quelle surprise — on empruntera, comme sous le Régime français, le chenal nord de l’île d’Orléans, beaucoup moins profond cependant.
Le «Wobum», steamer à charbon, qui a dû rebrousser chemin il y a trois ou quatre jours, à cause des glaces, est reparti aujourd’hui sous la conduite du capitaine Gagnon. Il doit suivre le côté nord de l’île au lieu de la rive sud, parce que le courant charroie beaucoup moins de banquises du côté nord que de l’autre côté de l’île d’Orléans.
On a eu soin de lui donner beaucoup plus de lest. Il n’avait pas assez de lest lorsqu’il est parti la première fois, et son hélice était à moitié hors de l’eau.
C’est la première fois depuis un grand nombre d’années qu’un steamer passe du côté de la Côte de Beaupré, au lieu du côté sud du fleuve. C’est pourtant le chenal du côté nord de l’île qu’on avait l’habitude de suivre autrefois. Les marins sont anxieux de savoir quel va être le résultat de cette nouvelle expérience de navigation d’hiver.
Qu’arrivera-t-il donc au Wobin, autrement appelé Wobum ?
Il semble qu’il a réussi à passer. La Patrie du 7 décembre écrit : Le «Woburn», capitaine Mikle, est parti samedi matin pour Sydney, sous la direction du pilote Eugène Bélanger, spécialement recommandé aux propriétaires par le Président de la Corporation des pilotes. M. Bélanger est accompagné d’un autre pilote qui a l’expérience de la navigation du Saguenay, M. Wm Tremblay. Ils ont pris le côté nord de l’île d’Orléans, parce qu’il y a beaucoup moins de glace dans le chenal de ce côté-là que du côté de la rive sud.
L’illustration est celle du charbonnier norvégien Storstad, ancré à Montréal après la terrible collision avec l’Empress of Ireland, le 29 mai 1914. Elle apparaît sur la page Wikipédia qui lui est consacrée.
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Mon ami Jean Cloutier, pilote du bas Saint-Laurent, m ‘écrit au sujet de ce billet :
J’ai trouvé cet article (2 décembre 2015) très intéressant pour deux raisons. Premièrement, le fait qu’au 28 novembre un navire à vapeur soit forcé de rebrousser chemin à la hauteur de St-Jean I.O. Ca fait changement avec aujourd’hui, pas de glace à la mi-décembre et allons nous en avoir pour Noël ? Les archives d’une centaine d’années démontrent très bien qu’il y a eu un réchauffement climatique même s’il y a des sceptiques. L’autre point intéressant de cet article, est le passage par le Nord de l’Île. Aujourd’hui encore, les pilotes apprennent les courses et toutes les informations permettant de transiter par cette voie. Toutefois, nous y allons rarement et lorsque nous y allons, ce n’est qu’avec des yachts privés. Il faut par contre savoir que le chenal est balisé et qu’il y a des feux d’alignements en plus de nos marques visuelles. Ces feux d’alignements ne datent pas d’hier ! 1884 pour être plus précis. Voici une partie du Rapport du Ministère de la Marine & des Pêcheries (1886) et une photo d’un des feux d’alignements (de l’époque) au Nord de l’île. (ANC).
Merci beaucoup, cher Jean. J’ignorais tout à fait que ce chenal Nord était encore «vivant» pour vous, pilotes.